Rangez les boules de cristal, cartes de tarot et autres
baguettes de sourcier ! Elles ne sont plus d’aucune utilité car
les méthodes de détection des risques sont efficaces. Aujourd’hui,
toutes les crises, qu’elles soient importantes ou minimes, sont
détectables. Les attentas du 11 septembre en sont une des preuves
les plus médiatiques : le FBI et la CIA savaient qu’un tel risque
pesait sur les Etats-Unis bien avant même que le premier avion ne
frappe la face nord-est de la tour n°1 du World Trade Center.
L’explosion de la navette spatiale américaine Challenger en est
encore un exemple : les ingénieurs du projet avaient prévenu leur
management qu’un risque de ce type était plus que probable. La
grande question qui se pose alors est la suivante : pourquoi,
alors que l’information est à disposition, personne n’a rien fait
pour empêcher de telles catastrophes ? Dilution des
responsabilités, manque de confiance des collaborateurs, faible
sens de l’urgence de la part des managers… ? Autant de
possibilités qui laissent à penser qu’il manque un maillon de
taille dans l’anticipation et la gestion des crises.
Les crises peuvent provenir d’éléments divers : produit
défectueux, catastrophe climatique, problème technique,
malveillance, négligence… et même le hasard parfois. Les crises
peuvent donc avoir des origines très variées. Dès lors, comment
est-il possible de les anticiper ? « Tout simplement » en posant
des sondes sur ce qu’elles ont toutes en commun : le terrain.
Toutes les crises proviennent du terrain et dès l’instant où l’on
est capable d’entendre et d’écouter les signaux en provenant, il
est possible de toutes les détecter. Et le fait est qu’aujourd’hui
nous savons parfaitement poser de telles sondes. A la disposition
des gestionnaires de crise se trouvent divers outils : CRM, Users
Groups, Complaint Management Tool, cellules d’anticipation de
crise régulières où échangent les responsables des divers
départements de l’entreprise… En un mot : nous savons faire.
Alors, encore une fois, si nous sommes si brillants et organisés,
pourquoi des crises se manifestent encore ?
Il est clair pour bon nombre d’entre nous qu’un maillon clé
manque dans la chaîne qui unie le terrain aux gestionnaires de
crise. Ce maillon est composé de l’ensemble des collaborateurs
eux-mêmes. L’idée ici défendue n’a aucunement pour objectif
d’incriminer le personnel des entreprises ; bien au contraire.
Mais le fait est qu’en chacun de nous résident des facteurs
bloquant la transmission de l’information. Et ce blocage n’a pas,
dans l’immense majorité des cas, de raison d’être intentionnelle.
C’est la vie voilà tout. Nous aimons tous avoir un avantage par
rapport aux autres en terme de position sociale, de connaissance
d’un sujet ou d’un client donné. C’est normal. C’est ce qui fait
notre force mais aussi notre faiblesse car nous avons beau être
brillant individuellement, si nous n’échangeons pas nous seront
brillants et seuls. Que vaut-il mieux : être fort tout seul ou à
plusieurs ? Personnellement, je pencherais pour la seconde option.
La raison de ce choix est simple : nous possédons tous une
richesse que ne possèdent pas les autres personnes, et en les
mettant ensemble nous aboutissons à une valeur ajoutée bien
supérieure à ce que nous aurions fait seuls. Telle est la base de
l’échange et ce vers quoi nous devrions tendre.
En ce qui concerne l’anticipation des crises, cette tendance
naturelle que nous avons à retenir l’information n’aide pas à la
qualité des prévisions. Et si l’on rajoute à ceci que les
entreprises sont naturellement tournées vers ce qu’il faut faire
et pas sur ce qu’il faut éviter, les choses se compliquent encore
davantage. Ce dernier point saute aux yeux de toute personne
travaillant dans une structure donnée. Par exemple, en ce qui
concerne les forces commerciales, elles font une mise à plat
souvent hebdomadaire des challenges à venir. Mais en aucun cas
n’est abordé le sujet des risques qui découlent des challenges
perdus ou abandonnés. C’est dommage car traiter de ce dernier
point permettrait de mettre l’activité globale en perspective et
de montrer les pistes d’amélioration qu’il reste à emprunter si
l’on veut s’améliorer continuellement. Le fait est que nous ne le
faisons pas et que seule la cellule d’anticipation et de gestion
de crise se penche sur ce type de sujets.
Faire remonter l’information sur les risques issue du terrain,
voici un défi majeur que doivent affronter les entreprises si
elles veulent être capables de maîtriser les risques. Bien
entendu, notre capacité à dompter les crises ne sera jamais à 100%
certaine, mais le facteur risque en serait tout de même nettement
réduit. Etant donné que nous possédons toute l’information
requise, ce qui manque c’est son échange. Et pour améliorer sa
transmission quoi de mieux que de se pencher sur l’entité de
blocage que sont les collaborateurs et notamment les managers ? En
effet, on y regardant de plus près, on s’aperçoit que les managers
possèdent les clés de l’anticipation des crises : l’information
issue du terrain. Cette information provient de leurs équipes,
mais n’est pas forcément traitée en priorité ou avec l’urgence
suffisante. Encore une fois, la raison n’est pas la négligence ou
la malveillance, mais plutôt le manque de temps chronique dont
chacun de nous souffre pour accomplir sa tâche. Nous travaillons
de plus en plus dans l’urgence et cette tendance ne semble pas
aller en décroissant.
Certains d’entre nous aiment penser au travers d’équations et
dans de nombreux cas cette approche facilite grandement la
compréhension des concepts proposés. L’objectif du présent article
est de formuler quelques pistes de réflexion pour améliorer la
pondération de l’équation importance-urgence et ainsi diminuer les
facteurs de blocage de l’information. Et en terme équationnel, on
pourrait écrire la chose suivante :
La volonté des idées présentées plus bas est de passer d’une
situation présente où a >> b et c, à une nouvelle situation où
a≈b≈c. Ceci repose entre autres sur l’idée que sans court terme il
n’y a pas de moyen et long terme ; mais si l’on perd de vue ces
deux derniers paramètres, le court terme perd en efficacité et en
réalisme.
Poser les coefficients pondérateurs de l’équation
importance-urgence est loin d’être une chose aisée. Et pourtant,
il s’agit là d’un point clé. Le fait est que dans la plupart des
cas, le ratio importance-urgence est dominé par le poids du court
terme. Bien loin derrière viennent le moyen et le long terme. Il
est évident que pour atteindre les objectifs fixés en moyenne et
longue période, il faut valider les étapes de courte période. Mais
en ne se concentrant que sur le court, voire le très court terme,
on oublie de regarder plus loin et autour. En d’autres termes, on
perd la compréhension environnementale globale vitale au
fonctionnement des entreprises. En effet, « garder la tête dans le
guidon », pour utiliser l’expression consacrée, n’aide pas à
percevoir les subtilités de la réalité nous permettant d’être
encore plus efficaces. Cette difficulté que l’on a à sortir la
tête de l’eau et à regarder autour de soi se traduit, pour les
forces commerciales par exemple, par la perte de certains contrats
ou par la création d’une base de clients mécontents. Et, pour
parler de ce dernier cas, quand on sait que conquérir un client
coûte dix fois plus cher que d’en conserver un et que faire
diminuer la perte de confiance des clients génère entre 25% et 85%
de profits supplémentaires selon les produits et secteurs, on
perçoit aisément l’intérêt qu’il y a à comprendre l’environnement
business global dans lequel nous intervenons. En un mot, si l’on
arrivait à donner du sens au sens, les choses seraient moins
compliquées.
Cette capacité à voir au lieu de regarder et entendre au lieu
d’écouter est une des clés de la résolution du challenge soulevé
dans cet article. En effet, si les managers étaient poussés à
élargir leur vision du métier, beaucoup d’entre eux comprendraient
l’importance de l’information que leur remontent leurs équipes.
Bien entendu, poser cette affirmation est simple mais la faire
appliquer est beaucoup plus difficile. La difficulté majeure
réside notamment dans le fait qu’à l’heure actuelle les managers
sont surchargés de travail et que leur dispenser des formations
pour les aider à construire cette vision globale n’est pas une
chose facile à implémenter. Les journées n’ont que 24h et l’on
passe déjà beaucoup trop de temps au bureau. Mais ce n’est pas une
raison pour jeter l’éponge. Il y a du travail mais il y a aussi de
la vie et tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir.
Mettre en place des formations économiques, financières,
politiques et psychologiques semble être un pan de la réponse à la
non pondération suffisante de la fameuse équation
importance-urgence. De telles formations existent déjà, mais sont
souvent réservées aux cadres dirigeants ou du moins aux hautes
sphères managériales de l’entreprise. Les ouvrir à tous les
collaborateurs serait une bonne chose. Bien entendu, le contenu et
la durée seraient différents des formations existantes. On
pourrait imaginer une segmentation des formations par public
adressé, mais avec un socle commun à tous les collaborateurs et
ceci à intervalles réguliers pour éviter de retomber dans la
focalisation sur le court terme. On pourrait imaginer, par
exemple, une formation sur « Les grands défis de l’entreprise et
les challenges à surmonter » ou encore « Les pièges à éviter dans
un environnement concurrentiel global ». Ce ne sont que des idées
jetées sur le papier, mais les formations à diffuser pourraient
aller dans ce sens.
Et pour approfondir davantage le sujet de l’implémentation de
ces formations, pourquoi ne pas les institutionnaliser ? On
pourrait par exemple organiser des meetings trimestriels pour tous
les collaborateurs et des meetings mensuels pour les managers. On
pourrait aussi ajouter des modules sur ces sujets au e-learning
que les collaborateurs et les managers doivent réaliser durant
l’année. Par ailleurs, pourquoi ne pas profiter des réunions de
lancements de chaque nouvelle année (« kick off meetings ») pour
mettre l’accent sur ce qu’il faut accomplir mais également ce à
quoi il faut faire particulièrement attention. Enfin, à l’arrivée
de tout nouvel employé, il serait utile de fournir un vernis
conséquent en terme de stratégie d’entreprise, de fondamentaux sur
l’environnement concurrentiel mais aussi sur les challenges
financiers qui pèsent sur toute structure. L’objectif étant,
rappelons-le, de doter la totalité des personnels d’une compétence
environnementale au sens organisationnel du terme. Ainsi, la
focalisation sur le court terme qu’imposent mécaniquement nos
professions serait relativisée et mise en perspective par l’apport
d’une vision de moyenne et longue période. Et par conséquent, le
sens de l’urgence requis pour pondérer correctement l’équation
importance-urgence serait au rendez-vous.
Cette équation est une des clés de la résolution du challenge
qu’ont à relever les gestionnaires de crise. Dans leur tâche, ils
ont à décoder et sonder le réel pour anticiper au mieux les
risques qui pèsent sur l’entreprise. Et le fait est que pour
chaque crise que nous avons connue, les alertes ont été
déclenchées. Le problème est que ces alertes n’ont pas toujours
été entendues, écoutées et transmises par le management. Et pour
faire que le maillon managérial diffuse ces informations
cruciales, nous proposons de mettre en place des séances des
formations ayant pour objectif de sensibiliser l’ensemble des
personnels au challenge qu’eux et leur entreprise devront
affronter. Ainsi, nous pensons accroître le sens de l’urgence
nécessaire à la correcte pondération de la fameuse équation
importance-urgence. Faire reposer ce défi majeur sur la seule
formation peut paraître légèrement utopique, mais comme dit
Georges Steiner « en crise, seule l’utopie est réaliste ».
Sébastien JARDIN Ingénieur Commercial IBM
Magazine de la communication de crise et sensible.
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