Pour les entreprises, en temps calme, et encore davantage en
situation sensible et de crise, la relation avec les médias et les
journalistes est anxiogène. Désormais, il faut compter avec la
menace additionnelle, grandissante et souvent insidieuse des
nouveaux médias. Et l’intégrer, de l’anticipation de la crise à la
gestion de l’après-crise, par crainte de tout perdre.
Ce sont souvent, entend-on ici et là, les médias qui sont les
déclencheurs de la crise, les boutefeux, les investigateurs
dérangeants (par euphémisme), bref, ceux par qui le scandale
arrive. Et trop souvent, on pense à soigner les grands quotidiens
nationaux, les télévisions et les radios nationales et locales.
Peu d’entreprises entrevoient une potentielle capacité de nuisance
à leurs intérêts dans la multiplication des quotidiens gratuits,
lus par 4 millions de personnes en une matinée, l’arrivée de la
TNT et la percée, accompagnée d’une crédibilisation croissante, de
magazines en ligne. Des anciens de Libé vont d’ailleurs bientôt
créer un quotidien généraliste uniquement sur le Net. Les attaché(e)s
de presse et dircoms se contentent la plupart du temps, alors que
le monde change, de chouchouter ceux dont le pouvoir fantasmé
décline, non en valeur, mais en volume, les journalistes de la «
grande presse ».
La vitalité des réseaux alternatifs
C’est mésestimer d’abord l’explosion des blogs de journalistes
où le ton est plus libre et où l’on s’épanche à raconter les
coulisses. Ainsi tel journaliste spécialisé sur l’environnement,
la politique ou les questions européennes ou l’Europe sera-t-il
plus disert et parfois virulent dans son blog que dans les
colonnes de son quotidien ou magazine, où il s’exprimera
d’ailleurs moins souvent dans certains cas.
Parmi les blogueurs, tous, loin s’en faut, ne sont pas
journalistes, mais tous sont producteurs d’informations. Et seule
une veille Internet soigneuse, visant à suivre les commentaires de
clients d’une société, observer les regroupements de
consommateurs, les blogs d’anciens salariés, les parodies qui
circulent sur le Net (celles sur Total exercent une pression
permanente et universelle sur l’image du groupe fort
déstabilisante pour remonter la pente), tout cela permettra de
débusquer les situations sensibles à la recherche des signaux de
crise potentielle.
Il y a enfin une catégorie qui a le vent en poupe, évoquée par
l’oxymore « journalisme citoyen ». Ainsi les Agoravox, Wiki-medias
(par les fondateurs de Wikipedia), Indymedia attestent de la
vitalité de réseaux alternatifs dans la production d’informations.
Le journaliste se retrouve dans un monde où il voit grignoté son
influence et s’amenuiser son statut de référent, dans un contexte
général de crise de toute médiation qui touche depuis longtemps le
politique. Désormais place à « l’égalisation du statut de la
parole » selon l’écrivain et sociologue Jean-Louis Missika. Le
citoyen parle, ce n’est pas nouveau, et cela a toujours été
l’intérêt du journaliste, mais aujourd’hui, LES citoyens parlent,
sans avoir besoin des journalistes. Et l’écho que leur donne ces
nouveaux réseaux leur confère une influence d’une inattendue
puissance, irréversible, et parfois alarmante. Car le citoyen ne
s’encombre pas toujours des prudences oratoires et des détours du
journaliste. Ainsi, blogs de salariés, d’usagers, de lobbies,
d’associations, de militants politiques, de concurrents etc...
peuvent-ils intégrer facilement ces nouvelles plate-formes, ces
nouveaux porte-voix, avec perspectives de dommages collatéraux à
la clé.
La confusion des genres
A cela, s’ajoute qu’aujourd’hui tout va très vite et
approximativement. En 1999, le journaliste et sociologue, Marc
Laimé,, dans un article du Monde Diplomatique dénonçait déjà les «
nouveaux barbares de l’information numérique » et les lea-ders
incontestables de la diffusion d’informations sur Internet que
sont les agrégateurs Yahoo ! et Google, lequel référence 500
sources d’informations francophones dans son module actualités mis
à jour en temps réel. Quand se côtoient des informations de médias
traditionnels, des dépêches d’agences de presse et des
informations en provenance de blogs dans une même rubrique (cf
Yahoo ! Actualités), le consommateur d’informations peut en perdre
son latin et prendre un billet de blogeur pour ce qu’il n’est pas.
Les agrégateurs auraient donc une responsabilité éditoriale à
faire le distinguo entre les sources. Ainsi, alors que le ministre
de l’intérieur est suspecté d’avoir diligenté une enquête des RG
sur l’ancien patron de Greenpeace et soutien de la candidate
socialiste à la présidentielle, un bloc d’infos sur la une de
Yahoo ! Actualités le jeudi 25 janvier 2007, annonce sous une
belle photo grimaçante du locataire de la place Beauvau : «
Sarkozy, accusé d’espionnage ». Une formule libre de toute
interprétation qui eût été inacceptable par sa disproportion et
son inadaptation au contexte dans n’importe quel quotidien ou
magazine de presse.
De la confusion à la manipulation, le pas est vite franchi.
Je pense à ce (vrai) journaliste qui possède un blog sur le
quotidien 20 Minutes, qui s’affiche militant d’un parti politique
et qui, ne précisant pas le média pour lequel il travaille, laisse
penser, bien qu’il n’y ait pas malice a priori dans son
comportement, qu’il appartient à la rédaction de 20 Minutes. Et
puis il y a tous ces autoproclamés « nouveaux influenceurs » qui
vont de plus en plus monnayer leur audience et leur plume(au) au
plus offrant, sur le modèle américain.
Sur Internet, pour déjouer les sabordeurs de réputation et
d’image, la meilleure attitude consistera toujours plus désormais
à vérifier qui se cache derrière les sources. Un hommage à la
démarche journalistique, en somme.
Stephen Bunard
1. Source :
http://www.monde-diplomatique.fr/1999/07/LAIME/12207.html
Magazine de la communication de crise et sensible.
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