En guise d’introduction à cette réflexion,
rentrons dans l’univers de l’industrie et de ses biens de
consommation. Autrefois les réunions de consommateurs permettaient
de tester et de recueillir les commentaires et les opinions des
futurs « usagers » sur des produits, des slogans publicitaires,
des opérations marketing. Ces réunions effectuées principalement
par des instituts d’enquêtes dans un mode guidé et donc dans un
cadre prédéfini par l’entreprise avaient pour objectif de
communiquer les stratégies de la marque à l’égard d’un produit,
mais aussi d’être le réceptacle de toute opinion nouvelle, non
détectée par les spécialistes en marketing, c’était en quelque
sorte un garde fou, une garantie avant commercialisation.
Ce cadre prédéfini dans un contexte temps limité ne permettait
pas de donner libre cours à toutes les opinions, à toutes les
possibilités d’appropriation d’un produit par son consommateur par
exemple. Ainsi, une fois le bien commercialisé, le logo diffusé,
l’individu « consommait », communiquait mais toujours dans une
sphère restreinte. Aujourd’hui Internet casse ce cadre ou du moins
ouvre le champ des possibles à la fois pour les consommateurs,
mais aussi pour les entreprises. Ce champ des possibles n’est
exploitable et ne porte un intérêt pour l’entreprise (l’émetteur)
que lorsqu’il est maîtrisé et contenu. Mais encore faut-il se
poser la question de qui est réellement l’émetteur, n’y a-t-il pas
plusieurs canaux de diffusion, un officiel et un « usager» comme
nous l’exposerons plus loin. Le processus de mise sur le marché
d’un produit n’a pas changé, cependant c’est Internet qui change
la donne. De nos jours, certes le produit sort après avoir été
testé par le panel des consommateurs auprès d’un institut
d’enquête, mais il est très vite de nouveau testé par ce 5ème
pouvoir, sur le Net entre autre avec ces comparatifs, ces notes
arbitraires que l’on trouve sur certains forums, ces blogs buzz
marketing pour tester des produits. Laissons de côté l’importance
évidente qu’a pris Internet dans ce cycle et revenons plutôt à
l’appropriation du produit, sur l’usage détourné qui peut en être
fait. En effet Internet n’est pour le coup qu’un activateur de
communication, qui rend plus visible, plus traçable les opinions
divergentes et accroît ainsi dans bien des cas la vulnérabilité de
l’entreprise. En effet en gestion de crise, cette consomm’action
déviée disponible à l’individu est la plupart du temps classée
dans la typologie des crises et est surveillé avec vigilance afin
d’éviter tout dérapage et non contrôle du « créateur ». Or si l’on
étudie quelques récents cas, on peut affirmer qu’il n’en est rien
et que la communication croissante et influente du consomm’acteur
n’est pas toujours synonyme de crise pour l’émetteur**.
L’entreprise qui aurait à vivre ce phénomène ne peut elle pas
l’envisager autrement en travaillant et en étudiant l’amorce d’une
nouvelle forme de marketing : un marketing participatif ?où les
deux parties seraient prenantes et … gagnantes… l’une répondant
plus aux attentes de l’autre, et l’autre s’exprimant plus sur ses
attentes ?
Avant de conclure et de suggérer à toute entreprise d’enrayer
toute action relative à un autre usage de produit, illustrons
cette réflexion par un exemple récent qui permettra de mieux
appréhender ce phénomène et de voir comment les entreprises
impliquées ont réagi différemment, saisissant une opportunité de
publicité gratuite pour l’une et réamorçant le débat sur le
contenu supposé trop chimique voir « nocif » du produit pour
l’autre. Cet exemple permettra peut être à une entreprise de
redéfinir ses frontières et de dégager des bonnes pratiques
évitant de rentrer en crise, non seulement en la contournant mais
en saisissant des opportunités.
La gestion souple de l’image : le détournement n’est pas
crise, quand l’entreprise s’approprie l’événement
Depuis l’année dernière, Coca Cola et Mentos font l’objet de
diffusion de vidéos amateurs sur le Net. Des jeunes ont
expérimenté qu’en insérant des bonbons Mentos dans une bouteille
de Coca Cola, ils obtenaient un geyser, sans même avoir besoin de
secouer le breuvage. Depuis certains s’amusent partout dans le
monde à obtenir le plus grand geyser, à le filmer et à diffuser
leurs exploits sur le Net. Ainsi sur le site Internet Eepybird,
deux étudiants américains ont mis en ligne leur vidéo qui
recréaient les fontaines du Château de Versailles. Ce mélange
était composé de 200 litres de Coca Cola et de plus de 500 bonbons
Mentos. L’audience de leur site a atteint six millions de
visiteurs en octobre dernier. Avec Internet, ce phénomène a
circulé partout dans le monde et a même interpellé les communautés
de chimistes qui se sont penchées sur la question pour émettre des
hypothèses scientifiques. Aux dernières nouvelles, c’est le CO2
contenu dans la boisson gazeuse qui formant un maillage, se
dissout avec la gomme arabique contenue dans les bonbons Mentos.
Sur le forum du site de l’Université de Pau, il est possible de
suivre ces recherches. Avec le média Internet, cette aventure de
copains a créé une tendance, un nouvel amusement pour les
adolescents et les jeunes adultes du monde entier.
Pour autant, ce nouvel usage a t’il profité aux deux marques ?
Nous avons là un exemple intéressant puisque les deux marques ont
réagi de façon radicalement opposée. Ainsi, Mentos est rentré dans
l’aventure en créant sur son site Web, une rubrique concours sur
laquelle il était possible de mettre en ligne sa vidéo. Tandis que
Coca Cola est resté peu loquace sur l’événement et n’a à aucun
moment cautionné ce phénomène, rappelant que son produit était une
boisson et non un divertissement. Ces deux réactions montrent que
dans un cas le groupe Coca Cola, soucieux de contrôler ses
produits, ses usages en fait une alerte de crise ; alors que dans
l’autre cas, Mentos en faisant sien l’événement a bénéficié de
publicité gratuite. L’un et l’autre ne se sont pas fixés les mêmes
limites, l’un a plus cherché à gérer l’événement comme une crise,
tandis que l’autre a généré du buzz marketing. L’entreprise qui
intègre l’idée que tout produit, tout slogan, tout logo
commercialisé, diffusé peut être détourné sans que ce soit classé
comme un type de crise a gagné la partie ; car elle pourra
s’approprier à son tour l’événement, le recadrer, limiter les
dérives, tout en se faisant de la publicité. La souplesse et
l’extension des frontières de sa marque doivent être les maîtrises
pour ces « sur-communications » de nouveaux usages de produits ;
bien évidemment dans la mesure où l’action n’est pas négative et
dangereuse.
Le « détourn’usage» était, est et sera de tout temps
Les entreprises ont tout intérêt à étudier sérieusement ce
phénomène de détournement, dans la mesure où il est en
augmentation et est envisageable partout dans notre société, avec
le média Internet qui constitue le domaine de prédilection pour la
diffusion. Ainsi à des exemples fort variés viennent à l’esprit,
on peut citer le détournement des graffitis de Miss Tic par Miss
Toc dans les rues de Paris, la publicité de Marithé et François
Girbaud, inspirée de la Cène ou encore au lendemain de la coupe du
Monde la transformation de la chanson « Zidane y va gagner » par «
Zidane y va cogner ». Cette étude devrait leur permettre de ne pas
envisager cette nature d’action uniquement dans le champ de la
gestion de crise, mais d’étendre le cadre afin de ne pas
uniquement réflé-chir en terme de crise
Une fois de plus, ce type de crise montre le fragile équilibre
entre opportunité et menace en phase de pré crise où tout est
question de limite, de frontière, de souplesse. Du détournement au
plagiat, du boycott au logobusting, il n’y a qu’un fragile pas.
C’est sur cette arête que se situe l’entreprise et c’est à elle
seule de maintenir l’équilibre, en étant acteur dés les premiers
signaux. Elle peut maintenir cet équilibre d’image en laissant les
usagers s’approprier différemment son produit, sa marque, son
image tout en étant et en restant ce chef d’orchestre qui fixe les
règles du jeu, et ce même sur Internet où tout semble tomber dans
le « domaine public, elle a tout intérêt à y être active.
Catherine Fauchoux, Diplômée 2005 d’un Master spécialisé en
Intelligence Economique. Etudie les tendances de communication de
crise en ligne et les méthodologies de gestion de crise.
* Par image, on voudra bien entendre tous biens de
consommation, les logos, les slogans, tout ce qui est création,
propriété intellectuelle à destination du public
** Par émetteur, nous entendons toute entreprise ou grand
groupe qui commercialise des biens ou des services qu’ils créent,
et qui sont destinés à des tiers
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