Les opérations de déstabilisation sur internet ne sont pas
nouvelles et on se souviendra de l’affaire Belvédère. Cette fois,
c’est un livre-enquête sur les pesticides qui fait l’objet d’une
manipulation par un processus viral. Limites, erreurs et
déshérences de ceux qui imaginent encore manipuler le réseau avec
une subtilité de bazar : la guérilla enclenchée sur le net est en
train de donner un formidable coup de pub à ce livre dérangeant.
Décidément, la communication de crise sur internet est un art.
Art qui ne souffre aucun manque de rigueur au risque de dégénérer
en crise plus brutale qui finira dans les médias classiques. Notre
point de vue, depuis des années, est de ne jamais avancer masqué,
le risque est trop grand de se faire prendre. C’est visiblement le
cas concernant l’opération de déstabilisation du livre «
Pesticides, révélations sur un scandale français » (Fayard) écrit
par le journaliste Fabrice Nicolino, collaborateur du magazine
Terre Sauvage et François Veillerette, président du Mouvement pour
les droits et le respect des générations futures.
Un site web consacré à déstabiliser les auteurs du livre Jusque
là rien de nouveau sous le soleil qui perce les nuages toxiques
dénoncés par les mouvements écologistes : la France s’habitue aux
scandales au point de ne plus pouvoir les compter sur les doigts
d’une main. Vrai ou faux, ce livre aurait pu rester bien au chaud
et discret sous la serre carbonique qui englobe la sphère
écologiste. C’était sans compter avec le superbe coup de pub et
surtout au crédit donné à ce livre grâce à une opération bâclée de
lobbying sur Internet. A peine le livre sorti, un nom de domaine
était déposé
www.alerte-environnement.org (exactement le 26
février 2007 à 17:53:35) et un site créé sous la forme d’un blog.
La coïncidence ne s’arrête pas ici : dès le départ ce site fut
entièrement consacré à décrédibiliser les auteurs du livre avec
des arguments chocs « Fabrice Nicolino sur les traces de Thierry
Meyssan » ou encore « Théorie du complot et amalgames », même si
l’auteure s’est pliée a l’écriture de quelques articles prétextes.
En tous les cas, l’amalgame avec Thierry Meyssan et la théorie du
complot sont des arguments particulièrement marquants dans
l’imaginaire collectif : les auteurs du livre ont dû trouver des
sources de légitimation face à la puissance symbolique de cette
attaque en règle. De ce point de vu, l’opération est réussie :
Thierry Meyssan ayant à l’époque bénéficié du levier de la presse,
celle-ci perd d’emblée une part importante de son crédit dans la
défense de ce livre. Enfin, nous nous trouvons dans une logique de
confrontation « journaliste contre journaliste » car les
rédacteurs de ce site utilisent la caution journalistique pour
faire valoir leurs propos.
Légitimation
Car ce qui est intéressant, c’est le processus de légitimation
du site « écrit par une journaliste et quelques amis agriculteurs
», un classique dans le genre. Le sens est également affiché, car
le site se veut à la fois responsable et militant, image
convenable pour les écologistes « Alerte Environnement creuse,
cherche et expose les motivations de quelques initiés qui se sont
arrogés le titre d’experts. Incisif, ce site éclaire les débats,
analyse, décortique.» Entre la théorie du complot et la
journaliste responsable, nous n’avons pas le choix. Le processus
de légitimation est enclenché, reste encore à propager
l’information.
Buzz et stratégie d’influence
Très rapidement, les sites qui évoquaient le livre semblent
avoir été passés au crible et systématiquement informés de
l’existence du site www.alerte-environnement.org « Pour en savoir
plus sur le livre Pesticides, révélations sur un scandale français
», ce qui a l’art d’attirer le chaland sans dévoiler ses
intentions : cette méthode, certes mesquine, est souvent utilisée
par les manipulateurs et connaît d’autres variantes comme «
information sur… » ou encore plus simplement « information.», par
exemple en entête d’un email, comme nous en recevons parfois
d’illuminés. Cette technique a cependant le mérite de fonctionner
dans de nombreux cas. Encore faut-il retenir le poisson dans ses
filets.
Contenu.
Car sans contenu, la promesse de l’information ne pourra être
tenue. Ici, le mal est fait : l’accroche par les micro-contenus «
Meyssan » et « Théorie du complot » suffisent à créer une relation
directe entre le livre et une effroyable imposture. Encore faut-il
durer, par la qualité du contenu. Or, dans ce type d’opération, le
contenu annexe est sensé contextualiser et crédibiliser le
contenu-piège. C’est ici que le site en question trouve ses
limites car ce contenu est pour l’essentiel une accumulation de
copier-coller sans aucun intérêt, très éloigné de la rigueur
journalistique annoncée dans la promesse (page « Qui sommes-nous
») et pour cause.
Effondrement
Si le site en question relève plus de la rubrique des chiens
écrasés que de l’investigation journalistique, c’est aussi parce
que les auteurs ne sont pas journalistes *. C’est ici que le
château de cartes virtuel s’effondre. Révélée sur le net puis au
grand public par le Canard Enchaîné, la manipulation fait
actuellement le tour d’internet et le buzz se retourne contre son
auteure au profit du livre déjà réimprimé deux fois et qui trouve
le soutien de personnalités au dessus de tous soupçons d’amalgame.
Aujourd’hui, le site est obligé d’afficher une posture défensive,
poussés à plus de transparence, contraint de s’expliquer ce qui
est très éloigné de ses objectifs affichés ou sous-jacents.
Opération ratée orchestrée par des industriels via une agence peu
performante de relations publiques online ? Initiative
individuelle ou d’un petit cercle ? Impossible de le dire même si
l’auteure s’en défend et se dit à la recherche d’un emploi. Nous
savons simplement que suite aux révélations du Canard, l’auteure
du site s’est partiellement dévoilée, avouant que son véritable
job est la communication.
Face à cette débâcle nous pourrions
conclure à l’initiative individuelle. Mais cette hypothèse pose la
question du mobile et rappelons-nous que les esprits – et services
de communication - les mieux éclairés sombrent parfois dans les
méandres d’internet. C’est un domaine qui nous réserve encore
d’inénarrables surprises. - D.H.
* Ou journaliste occasionnelle, sans carte de presse.
Cependant, selon nos recherches, elle aurait écrit deux papiers en
2006 pour le Télégramme de Brest.
Le site web du livre :
http://www.pesticides-lelivre.com/
Magazine de la communication de crise et sensible.
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