Les situations de crise existent partout. On les connaît
surtout lorsqu’elles se produisent au sein de la sphère publique,
touchant dans ce cas des entités (entreprises, organisations,
voire des régions…).
Mais ces situations de crises se retrouvent également au sein
de la sphère privée, à l’intérieur même des lieux de résidences.
La preuve par exemple d’une grande résidence, composée de
plusieurs bâtiments, qui a connu une situation de crise sans
précédent.
L’élément déclencheur de cette situation de crise fut le
licenciement des gardiens.
Ce type de crise sociale représente un danger potentiel
d’autant plus fort dans le contexte actuel, où l’inquiétude quant
à l’avenir domine.
Ce licenciement a vu émerger des groupes contestataires et a
entraîné un disfonctionnement de la communication de crise dû à
une méconnaissance, par le syndic, des règles de base de la
communication.
Cette résidence est composée d’un syndic extérieur qui la gère
depuis 5 ans, d’un couple de gardiens (les précédents gardiens
sont tous restées jusqu’à leur retraite, les gardiens licenciés
n’étaient là que depuis 7 mois), d’un employé de ménage et d’un
Conseil Syndical, très dynamique, dont le Président - réélu depuis
plusieurs années - possède une bonne popularité et une solide
réputation auprès des résidents qui lui font confiance et qui met
un point d’honneur à les tenir informer de tout ce qui se passe
dans la résidence par le biais d’affichage (de comptes-rendus de
réunions, d’informations générales…) dans les halls.
Le syndic de cette résidence licencie les gardiens pour
manquement / non respect du contrat / à leur travail et
comportement conflictuel mais fit l’erreur de ne pas en informer,
au préalable, les copropriétaires de cette résidence.
Ceux-ci, habitués à être tenus au courant de la vie de la
résidence tombèrent des nues lorsque les gardiens - par le biais
d’affichages sauvages - les informèrent de leur licenciement
arguant qu’ils en ont été avisés par voie d’huissier (2ème erreur
du syndic, procédure agressive, à juste titre, mal perçu par les
résidents car invoquant une procédure d’urgence alors que le
licenciement prévoyait une période de préavis de 3 mois).
Malgré les nombreuses demandes d’information du conseil
syndical, le syndic refuse de communiquer et interdit au conseil
syndical de le faire suivant en cela les conseils de son avocat.
Résultat de cette stratégie du silence : les affichages
sauvages se multiplièrent, des tracs atterrirent dans les
boites-aux-lettres, un site Internet fut créé, les rumeurs
allèrent bon train sans que rien ni personne ne les arrêtent.
Ces affichages sauvages, ces tracts, le site Internet, jouant
le rôle des médias, amplifièrent le phénomène en lui donnant une
résonance qu’il n’avait pas au départ et se terminèrent en réunion
où chacun y allait de son hypothèse invérifiable, encouragé par
des gardiens et le groupe de contestataires qui s’en donnaient à
cœur joie de diffuser de fausses informations.
Plus grave, un petit groupe de contestataires vit le jour,
porté par les interrogations des copropriétaires et mené par un
membre du conseil syndical dissident qui profitait de la situation
pour tenter de prendre le pouvoir.
Du licenciement des gardiens, on est passé à une critique de la
gestion du syndic : il n’y avait plus de limite à la contestation.
Le syndic fut même accusé de profiter de la période estivale et
du relâchement de la vigilance des copropriétaires pour licencier
les gardiens.
La situation devint rapidement insoutenable. Mais, malgré la
cacophonie régnante, le syndic restait toujours silencieux.
La confiance des copropriétaires s’effrita peu à peu, le
silence du syndic fut interprété comme un aveu de dissimulation,
une volonté de minimisation d’un événement qui semblait
incompréhensible aux yeux de certains résidents.
Le conseil syndical, par la voie de son Président, décide de
passer outre les recommandations du syndic et diffuse une note
d’explication dans un but de transparence et dans l’optique d’une
stratégie de vérité.
Mais cette note, maladroite, qui aurait due être envoyée au
début de la crise, arriva trop tard et surtout après que d’autres
aient pris la parole. Le conseil syndical était en défense. La
note eut tôt fait d’être tournée en dérision, critiquée, voire
même déformée par le groupe de contestataires et les gardiens qui
entre temps menaçaient d’attaquer la résidence aux Prud’hommes.
L’incompréhension des copropriétaires céda alors la place à la
peur, peur des dépenses exorbitantes dans lesquelles ce
licenciement allait les lancer. Les critiques fustigèrent le
syndic et le conseil syndical qui ne prenaient pas les bonnes
décisions et qui ne savaient pas gérer une résidence. Les gardiens
devinrent des dieux inattaquable et n’ayant que des qualités.
Certains demandèrent leur réintégration.
Pendant ce temps, de leur côté, les avocats des 2 parties se
concertaient. Se croyant soutenus par une majorité de résidents
qui avaient signé une pétition, les gardiens menacèrent de ne pas
quitter la loge à la fin de leur préavis, cherchant à piéger le
syndic. Celui-ci décida de leur payer leur préavis sans qu’il
l’effectue et mis en place une société extérieure (3ème erreur qui
engageait des frais supplémentaires et qui ne fut pas compris des
résidents). Cela renforça encore le soutien des résidents aux
gardiens.
En à peine un mois, la résidence qui avait toujours été calme
et homogène (les décisions se prenant à la quasi unanimité),
devient un lieu de conflit et se divisa en 2 camps : les pro
gardiens et les pro licenciement.
Les réunions de désinformation se multiplièrent, facilitées par
la non communication du syndic. On pouvait dire tout et n’importe
quoi.
De fausses listes de pétitionnaires furent même distribuées.
Le conseil syndical décida alors de contre-attaquer, recensa
les questions posées par les résidents sous la forme d’un
argumentaire et diffusa une mise au point dans laquelle les
membres (sans le collègue dissident), parlant d’une seule voix,
expliquaient la situation, son évolution, les raisons de leur
attitude, la volonté de ne pas communiquer du syndic, ses raisons
et leur incompréhension de l’attitude de leur collègue dissident.
Le message était clair et rassurant.
Cette note, envoyée nominativement à tous les copropriétaires,
permis de calmer un peu les choses. Le conseil syndical reprenant
l’offensive et occupa pour un temps, le champ médiatique de la
résidence.
Les vacances aidant, le mois d’Août vit la résidence se vider.
Un calme temporaire revient alors.
A la rentrée, les gardiens n’avaient toujours pas quitté la
résidence : ils décidèrent de squatter leur appartement de
fonction puis louèrent un appartement dans la résidence.
Les membres du conseil syndical furent victimes de vandalisme
et de tentative de cambriolage.
Les contestataires tentèrent de relancer la polémique et
demandèrent la révocation du syndic et du conseil syndical.
Mais l’engouement était moindre, certains résidents ne
comprenant pas l’attitude des gardiens et cette résolution
n’emporta pas l’adhésion des copropriétaires car le socle sur
lequel était construit la confiance avec le Président du conseil
syndical était fort et sa bonne réputation trop solide ce qui
amoindrit l’impact de la crise sur ce dernier. Par contre, le
syndic y laissa des plumes et ne fut renouvelé qu’in extremis.
Le syndic ne communiqua que très tardivement, bien après le
conseil syndical, distillant les informations.
Ce fut donc le conseil syndical qui décida de conclure la crise
en faisant un mea culpa rassurant, en diffusant clairement le coût
du licenciement, en expliquant clairement les changements définis
pour éviter qu’un tel problème ne se reproduise et en attaquant, à
nouveau, d’une seule voix, le membre dissident dont ils
demandèrent, et obtinrent, la révocation.
Si cette résidence a subi une crise c’est parce qu’elle n’avait
pas été prévue et que ni le syndic ni les membres du conseil
syndical n’avaient pensé à l’anticiper. Personne n’avait supposé
qu’un tel cataclysme arriverait. La conjonction du manque de
communication et du regroupement de quelques personnes ont fait le
reste. Et la bonne réputation a sans doute sauvé les membres du
conseil syndical qui, échaudés, ne s’y laisseront plus prendre.
Sophie-Carole RICHARD-LANNEYRIE
Magazine de la communication de crise et sensible.
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