The
politics of crisis management
Livre de Arjen Boin, Paul’t Hart, Eric Stern et Bengt Sundelius,
Cambridge Press, 2006, 182 pages
Note de lecture.
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Rédigé par quatre experts du management des crises, cet
ouvrage traite plus spécifiquement de la gestion de crises
publiques. Comment les autorités publiques réagissent-elles et
devraient réagir face aux crises ? Les auteurs définissent la
crise comme « une menace sérieuse envers les structures de base ou
les valeurs fondamentales et les normes d‘un système, qui, sous la
pression de l’urgence et des circonstances incertaines nécessitent
de prendre des décisions à caractère vital ».
Les crises seront toujours plus nombreuses et sont quasiment
impossibles à prédire, et si la gestion de crise est un domaine
complexe, il le sera encore davantage à l’avenir en raison de la
complexification des sociétés. Les autorités doivent tâcher de
mieux connaître les implications propres à chacune des cinq phases
de toute crise.
1 – Comprendre la situation
Il est impossible de prédire les crises avec précision d’autant
que la culture des organisations fonctionne prioritairement sur ce
qui doit être atteint et non sur ce qui doit être évité. Lorsque
les décideurs reçoivent des signaux d’alerte, ceux-ci apparaissent
souvent de manière fragmentée à l’exemple des pièces d’un puzzle
que le décideur devrait assembler pour en saisir le sens, … s’il
en a les capacités et le temps. Or les organisations publiques
sont souvent cloisonnées et les informations ne sont pas
connectées. Les auteurs prennent l’exemple des signaux d’avant le
11 septembre 2001 où il aurait suffi de mettre en relation les
informations transmises par la CIA et le FBI pour mieux comprendre
la réalité de la menace qui se profilait. De nombreuses
organisations tentent d’anticiper les risques en mettant sur pied
des mécanismes de détection et des cartographies de risques. Cela
peut toutefois engendrer un sentiment de confiance en "
normalisant " le risque, le classifiant sur une échelle de gravité
et en décrivant ses causes et manifestations. D’autant que le
risque interviendra en dehors des risques identifiés, ou il
s’inscrira sur un niveau d’intensité reconnue comme négligeable
avant que d’autres facteurs ne s’y mêlent, à l’exemple de l’effet
papillon.
2 – Savoir décider
On caricature souvent la gestion de crise en la réduisant au
choix de la bonne décision que devrait prendre le plus haut niveau
de pouvoir. Dans la réalité, le succès d’un management de crise
dépend plus souvent de la bonne coordination des multiples acteurs
de la crise et du processus décisionnel qui conduit aux multiples
choix. Deux extrêmes sont difficiles à éviter : la conflictualité
des acteurs en raison de l’incertitude fréquente des connaissances
et la pensée de groupe qui conduit à se ranger sur l’avis du plus
haut responsable au sein de la cellule de crise. De fait, les
auteurs préconisent d’introduire également le facteur humain dans
la cellule de crise afin d’incorporer un meilleur équilibre
psycho-sociologique dans le processus de décision. En clair, il
doit exister en cellule une personne capable de proférer des
affirmations qui ne vont pas forcément dans le sens de ce que le
reste de la cellule aurait envie d’entendre, et cela sans
agressivité ou arrière-pensée en terme de lutte pour le pouvoir.
La décentralisation est aussi un paramètre fort. Lorsqu’un des
contrôleurs aériens signala le 11 septembre que le vol 175 était
détourné, il lui fut répondu qu’il était impossible de déranger
les responsables alors réunis en cellule de crise à la suite du
premier crash sur le vol n° 11 sur une des deux tours du World
Trade Center, et que ces responsables avaient déclaré ne vouloir
être dérangés sous aucun prétexte. La décentralisation est souvent
liée à la coordination et c’est ici une des particularités de la
gestion publique de crise que d’être confrontée à une multitude
d’acteurs : police, gendarmerie, armée, hôpitaux, pompiers. Chaque
organisme doit avoir un objectif clairement défini et agir en
adéquation avec chacun des autres, ce qui est souvent un point
délicat du dispositif. Les institutions publiques doivent
privilégier la coordination, la décentralisation et le sens de
l’improvisation, ce qui est une recommandation rarement entendue.
L’inverse, à savoir, l’insistance sur la figure d’un leader
sauveur risque souvent d’aboutir à créer davantage de formalisme,
de procédures, de plans et donc de réduire la réactivité et la
faculté de prendre les décisions les plus adéquates.
3 – Donner du sens
Les crises induisent une forte demande en information des
publics qui exigent une réduction de l’incertitude. Les décideurs
sont alors plongés dans un univers hautement compétitif où
s’expriment une multitude d’acteurs. Il ne suffit pas de faire «
ce qu’il y a à faire » mais de jouer sur des attitudes et des
symboles. Les auteurs consacrent plusieurs paragraphes au mythe de
la « panique ». Selon eux, les pouvoirs publics sur-privilégient
une communication de rassurance absolue afin d’éviter toute
panique, alors que l’observation des situations les plus extrêmes
tendrait plutôt à démontrer une attitude raisonnée des individus
concernés. Bien évidemment, donner du sens doit s’appuyer sur une
perception, mais aussi une réalité. Georges Bush a pu
immédiatement donner du sens au 11 septembre là où José Maria
Aznar a pitoyablement échoué lors de l’attentat de la gare de
Madrid en mars 2004, dans une tentative de disjoindre une
inquiétude avec une réalité qui ne tarda pas à apparaître.
4 – Savoir clore une crise
Il faut se débarrasser de la vision de la crise comme d’un
événement unique, soudain, localisé dans le temps. Les crises ont
de plus en plus souvent l’allure de montagnes russes où les
épisodes et la mise en tension se succèdent irrégulièrement. Le
management de crise doit rester vigilant et surtout ne pas décider
de clore la crise de manière brutale, spécialement avant même que
tous les indicateurs externes ne démontrent un retour stable à la
situation antérieure. Les auteurs déclarent également que « les
crises ne se finissent pas par elles-mêmes, elles doivent être
closes » (p. 149). En affirmant cela, ils constatent que le milieu
politique où ils se situent utilise souvent la fin de la crise
pour faire émerger de nouvelles polémiques et créer « une crise
après la crise ». Les leaders politiques devront rester en
visibilité après la crise et ne pas se contenter d’un retour aux
affaires (business as usual) en faisant profil bas, ils doivent
rester proactifs et continuer à occuper le terrain médiatique.
5 – Apprendre des crises
Si chacun s’accorde à reconnaître qu’il est important de
capitaliser sur la crise et d’en tirer toutes les leçons, la
réalité est plus contrastée par le fait même que peu de décideurs
ont à gérer plus d’une ou deux crises réelles dans leur carrière,
que leur expérience se transmet difficilement à d’autres et que
les crises sont rarement identiques. En outre, la crise oblige à
ajourner de nombreuses décisions et il est compréhensible que les
autorités publiques n’ont qu’une hâte en sortie de crise : éponger
le retard accumulé : « Le sentiment qu’il est urgent de tirer les
enseignements de la crise s’évapore rapidement dès que celle-ci
s’éloigne » (p. 121) et cela conduit au fait que les décideurs
soient en post-crise plus enclins au conservatisme qu’à vouloir
enclencher des réformes ; ils ne s’engageront dans la voie des
réformes que dans l’hypothèse où l’émergence de la crise a pu être
corrélée à des facteurs extérieurs à l’action publique du
responsable. C’est un calcul basé sur la survie politique : le
leader engrangera-t-il plus de bénéfices à engager des réformes,
des coalitions d’intérêt le soutiendront-ils ? A défaut, le choix
du conservatisme sera privilégié. Cette dimension purement
politique est une des caractéristiques de la gestion publique où :
« Ce qui est faisable, durant une crise est souvent plus déterminé
par le désir de survivre politiquement que par les faisabilités
techniques » (p. 129). Confronté à une crise, l’acteur public est
face à deux fronts de lutte qu’il doit combattre simultanément ;
celui de l’événement et celui des enjeux politiques engendrés par
cet événement. Négliger un niveau risque de ruiner toute tentative
de démontrer une quelconque maîtrise de la situation. Le décideur
doit se préparer à affronter ces deux niveaux, et cette phase
préalable est souvent une des plus complexes. Car c’est bien à une
culture de la crise qu’appellent les auteurs qui demandent aux
acteurs publics d’encourager ceux qui sont capables de leur
apporter de mauvaises nouvelles. Le manageur de crise ne doit pas
se contenter de prévoir des situations de crise mais doit engager
une vraie remise en cause du fonctionnement de l’organisation en
situation extrême. Toute crise exigera une bonne dose
d’improvisation, ce qui requerra davantage de flexibilité que des
plans rédigés à l’avance. Ces plans risquent de brider toute
initiative individuelle et toute spontanéité alors que c’est
justement ce qu’il faut privilégier. Dans les recommandations, il
est également proposé aux décideurs publics d’améliorer leur
communication : « Les leaders qui n’ont pas la faculté de bien
communiquer ne peuvent pas manager une crise » (p. 148), ils
doivent aussi se débarrasser de la vision tactique qui existe dans
de nombreuses gestions de crise : « le management de crise n’est
rien d’autre que de la gouvernance en condition extrême », les
approches de type « spin doctor » au détriment d’une vision
stratégique ont peu de chance de succès.
Au final, un livre de réflexion mais toujours opérationnel.
C’est clair et étayé de nombreux exemples. Arjen Boin et Paul’t
Hart sont enseignants aux universités de Leide et d’Utrecht
(Pays-Bas), Eric Stern et Bengt Sundelius enseignent à
l’université d’Uppsala (Suède), ils dirigent également le Crismart,
centre de recherche sur le management des crises en Suède.
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Cf :
http://www.crismart.org
T.L.
Magazine de la communication de crise et sensible.
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