L’évolution de la communication d’entreprise a permis,
depuis quelques années, l’émergence de la thématique du risque
d’opinion. A quel type de consulting ce nouvel entrant
correspond-il ? Que peut-on attendre d’un conseil en la matière ?
Quel avenir peut-on prédire à cette spécialité ?
L’émergence récente du risque d’opinion
Dans un monde ‘globalisé’ où les notions d’accès et de
souplesse, selon Jeremy RIFKIN, deviennent le nouvel horizon de
l’homme multidimensionnel, les organisations doivent apprendre à
lutter contre des formes renforcées de ‘sélection naturelle’ en
intégrant le changement, la complexité ainsi que les situations de
rupture dans leur développement sur le long terme. De plus,
l’entreprise n’est plus une entité homogène, dirigée au centre à
l’aide de procédures de commandement et de contrôle hiérarchisées
: elle est devenue un maillage souple de compétences en phase avec
un environnement souvent instable, parfois précaire, toujours
mouvant (URBAN & VENDEMINI ‘Alliances stratégiques et coopératives
européennes’).
L’adaptabilité devient donc une condition de la pérennité de
toute activité, quelle qu’en soit la nature et le mode de
gouvernance, exigeant alors un effort d’autant plus constant sur
les relations qu’elle entretient avec son ‘écologie naturelle’ que
l’opinion publique est devenue sensible à tout ce qui relève du
contrat moral tacite la reliant à un centre de décision (Cf. M
ABELES ‘Politique de la survie’) et que les multiples minorités
‘actives’ disposent, via la toile et les réseaux, d’inépuisables
prolongements et chambres d’écho (Cf. Howard RHEINGOLD ‘Foules
intelligentes’). De fait, pour reprendre l’expression lumineuse de
Karl POPPER, une ‘société ou-verte’ permet aux contre-pouvoirs
d’ériger leur légitimité en utilisant l’arme de la responsabilité
via des initiatives citoyennes, médiatiques, scientifiques,
communautaires. Sous leur pression, les organisations sont
obligées aujourd’hui de s’expliquer ‘tous azimuts’ sur les impacts
sociaux, politiques, éthiques et moraux, médicaux et sanitaires,
environnementaux de leurs activités.
A l’opposé des préoccupations anglo-saxonnes axées sur le cours
de bourse et la réputation (CF. Charles J. FOMBRUN ‘Reputation :
realizing value from the Corporate Image), les manageurs français
développent une culture conceptuelle spécifique où l’on résonne
systémique et évolution dans le corps social, l’entreprise étant
responsable de la façon dont elle pénètre la vie de la cité.
L’inévitable changement s’inscrit alors dans un mouvement
perpétuel qui oblige les organisations à inventer leurs
territoires, leurs nouvelles manières de s’incérer dans les corps
sociaux (Cf. JM DRU ‘Disruption’). Véritable révolution, cette
émergence d’une responsabilité des organisations se rapporte donc
directement aux relations qu’elles entretiennent avec l’ensemble
de leurs publics, à savoir les clients, les personnels, les
consommateurs, les propriétaires / investisseurs, les
gouvernements et les autorités locales, les fournisseurs et
producteurs, les concurrents, les riverains, les groupes de
pression, les médias, les analystes, les politiques … Depuis près
de dix ans maintenant, les communicants au service des
organisations mesurent l’importance d’une ‘stratégie’ qui
considère toute composante du corps social comme partie prenante
d’un débat public en gestation. Le ‘relationnel corpo-rate’ (Cf.
Bernard EMSELLEM ‘Le Capital Corporate’) et ses ‘stakholders’
deviennent plus importants que les traditionnels ‘shareholders’.
L’entreprise doit se concentrer sur les publics qui correspondent
à ses enjeux du moment et maintenir le contact avec les autres,
peut-être stratégiques demain. C’est la posture adoptée par
l’entreprise qui devient le facteur clé au travers des liens
qu’elle établit.
De fait, qu’il s’agisse d’une restructuration d’entreprise, de
l’implantation d’une industrie à risque ou d’une infrastructure
d’aménagement du territoire, du lancement d’un produit de santé au
conflit avec une association d’usagers, le risque d’opinion aide
au pilotage des modes relationnels d’une organisation vers ses
publics afin d’éviter le tribunal de l’opinion (Cf. Nicolas
NARCISSE in ‘Issues management’ – OIC). Dans ce contexte, il est
d’autant moins cantonné au rôle de sous risque que le pilotage des
différents publics devient une matrice fondamentale de la
communication d’entreprise (Cf. Jean Pierre BEAUDOIN ‘Etre à
l’écoute du risque d’opinion’). Il révèle son acuité au fur et à
mesure des efforts déployés pour éviter son occurrence. Il devient
un continuum dont le statut culturel est appelé à se renforcer
très vite, remplaçant progressivement l’imaginaire d’opposition /
affrontement des années 80 / 90 et prolongeant celui de système,
toujours d’actualité, et d’alliances durables, novateur.
L’apport du conseil et ses perspectives
De ‘’l’expertise normalisatrice’’ initiale type relations
presse ou publiques…, le métier de conseil en communication
s’oriente de plus en plus vers la conduite de processus
d’assistance, qu’il s’agisse d’accompagnement sur la durée
(communication de projet, accompagnement du changement, politique
de concertation ou d’adhésion), d’ajustement structurel (audit
identitaire, conseil stratégique) et d’anticipation des crises.
Ainsi, la démarche du cabinet conseil fait progressivement
irruption dans le corporate, facilitant l’apparition de nouveaux
services qui mixent métiers de l’audit en management /
organisation et compétences en communication. De fait, des
techniques importées d’autres univers professionnels structurent
progressivement le périmètre du risque d’opinion et le font entrer
dans l’univers du ‘sensible’, ce champs d’intervention situé à la
croisée du politique et de l’information, de la stratégie et de
l’action.
Il en est ainsi des techniques dites de veille et
d’intelligence ‘économique’ (mais aussi des sondages) qui
permettent, lorsqu’elles sont utilisées de manière complémentaire
: 1/ de surveiller l’évolution du débat public, 2/ de détecter les
signes annonciateurs d’une montée en tension – comme des
évènements particuliers potentiellement crisogènes -, 3/ de
mesurer les éventuels glissements de perception au sein d’une
communauté spécifique – par exemple une communauté scientifique à
un moment donné. L’intérêt devient alors de disposer de tableaux
de bord permettant une lecture schématique des interactions, donc
un meilleur pilotage à distance du message et de l’action vers son
récepteur, même si l’on sait que « la plupart des effets arrivent
par des voies si singulières, et dépendent de raisons si
imperceptibles qu’on ne peut les prévoir » (Cf. MONTESQUIEU
‘Traité des Devoirs’). Ces techniques d’ingénierie s’utilisent en
phase monitoring dans le temps, chacune correspondant à un
périmètre précis d’investigation ainsi qu’à une période
déterminée.
Il en est de même de l’anticipation des phénomènes de crise où
l’audit des sensibilités - étude de l’écologie d’ensemble d’un
projet sensible -, mais aussi l’analyse ‘stratégique’ des
scénarios d’opinion permettent, en principe, de disposer d’une
vision assez fine des risques liés à l’opinion en général et à
quelques unes de ses composantes en particulier. L’objectif de
cette analyse stratégique est de comprendre, de manière
exploratoire, les jeux d’acteurs qui peuvent émerger en situation
dégradée. De fait, l’on raisonne sur des scénarios, sur des
occurrences, sur des critères de fiabilité et des indices de
probabilité, autant d’outils qui tendent à rendre objectives les
projections retenues. Loin d’être une science de l’exact, il
s’agit là de prendre de la hauteur, d’envisager le pire, de voir
venir, d’ouvrir les perspectives et les champs du possible, en
bref de faire preuve d’une imagination placée au même niveau que
ces ‘nouvelles vibrations du monde’, comme l’exprime depuis
longtemps ce génial défricheur qu’est Patrick LAGADEC.
Ces techniques nous en disent long sur le rôle du conseil qui a
pour tâche, plus que jamais, de permettre de reconnaître les
publics sensibles afin de déterminer la stratégie à leur
appliquer. En étudiant les caractéristiques d’acteurs parties
prenantes à un conflit émergent, à une décision ou à une évolution
sensible, le conseil doit aider non seulement à détecter
l’apparition d’un risque d’opinion ainsi que ses composantes, mais
aussi à identifier les forces et faiblesses de chacun de ces
acteurs en dégageant constantes et incohérences. Autrement dit, il
s’agit de saisir une représentation simple des champs de
sensibilité susceptibles d’agréger, aujourd’hui et demain, les
oppositions ou les opportunités. De plus, la socio dynamique,
discipline dont l’objet est de construire les conditions d’une
démarche de mobilisation, prolonge naturellement les apports du
risque d’opinion puisque la détection des acteurs constitue un
préalable à la définition d’une action sur le long terme (Cf. JC
FAUVET ‘La socio dynamique : un art de gouverner’).
Dans cette pure perspective d’anticipation, l’audit ponctuel du
risque d’opinion a plus d’avenir pour comprendre la complexité des
interactions entre acteurs, enjeux, changements technologiques,
mutations de métiers, inflexions des courants socioculturels que
‘la stratégie de communication’ désincarnée et planifiée à
l’avance. Surtout lorsqu’il s’agit d’accompagner le changement des
entreprises, des marques et des institutions pour aborder les
mutations internes et externes comme un levier, non comme une
contrainte ; de construire un discours sérieux, factuel, étayé,
socialement responsable ; et de décloisonner les publics internes
des organisations pour créer des systèmes de relations motivants,
donc productifs …
Conclusion
Ainsi, par soucis de prévention, toute évolution délicate, tout
projet sensible mais aussi tout le ‘périmètre relationnel’ d’une
organisation doivent faire l’objet d’une attention particulière
sur le plan du risque d’opinion. Etre en mesure de piloter l’image
au travers d’un canevas de discours portés vers des réseaux
élargis, d’anticiper des conflits en gestation ou d’imaginer des
réponses lors d’éventuelles ‘traversées du désert’ ne constituent
pas, à l’évidence, des objectifs mais plutôt des préalables pour
asseoir la ‘légitimité sociale’ d’une organisation.
Gérer le risque d’opinion nécessite de prendre la mesure de
tous les facteurs concourants à son émergence et sa montée en
puissance : au delà des messages, il s’agit d’étudier avant tout
les publics ; autrement dit, les caractéristiques des différentes
parties prenantes sur une problématique particulière sera aussi
importante que la façon dont elles s’expriment sur le sujet.
De la capacité des cabinets conseil à disposer de cette
nouvelle grille de lecture dépendra la qualité de leurs
diagnostics initiaux dont l’objectif deviendra de plus en plus, à
n’en pas douter, l’intégration de l’organisation dans un
environnement mouvant. Avec comme exigence cette lucidité dont
René CHAR disait quelle était « la blessure la plus rapprochée du
soleil ».
Thierry Portal
thierry.portal@libertysurf.fr
Consultant en ‘communications sensibles’
Magazine de la communication de crise et sensible.
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