Les dirigeants d'entreprises, et notamment de celles qui
sont cotées, prennent aujourd’hui davantage en considération
l'intérêt de la réputation de leur entreprise dans l'ensemble de
leur communication financière. Le parcours a été un peu long et la
communication souvent perçue sous le seul angle instrumental. Mais
aujourd'hui, une étape est franchie grâce aux progrès des
indicateurs : la réputation se mesure, elle a un prix, et celui-ci
est souvent considérable. Au point même que le capital
réputationnelle peut être supérieur à l'ensemble des actifs
tangibles de l'entreprise.
Deux événements survenus à un an d'intervalle apportent sur ce
sujet un enseignement majeur.
Il y a un an, la France tremblait à l'idée que l'entreprise
fleuron de l'alimentaire, le groupe Danone, pouvait être transféré
sous contrôle américain. Tous nos politiques se mobilisaient pour
empêcher cette OPA sauvage annoncée qui, heureusement pour notre
industrie, ne se réalisa pas.
Au début du mois d’Août 2006, le groupe Arcelor est passé,
après une OPA officielle, sous contrôle indien dans une
indifférence quasi générale. Rien ne justifie ce traitement
différent. L'acier est à la base de notre développement
industriel, et c'est toute l'histoire de notre progrès économique
qui y est liée. Alors que l’acier fut longtemps au cœur de notre
affectio societatis et que la fermeture des hauts fourneaux de
Longwy marqua fortement les esprits, la prise de contrôle
d’Arcelor apparaît comme une opération strictement financière, où
toute émotion est désormais absente et dans un silence remarquable
des mondes politique et syndical.
La différence entre ces deux traitements est dans l'image.
Danone a toujours cherché à construire son image institutionnelle
à côté de sa démarche commerciale, et même si elle est fortement
internationalisée (La France ne représente que 20% de son chiffre
d’affaires et 14% de ses effectifs), elle fait figure d'entreprise
tricolore. A l'inverse, Arcelor, surtout depuis le départ de
Francis Mer, n'a jamais cherché à se forger une réputation.
Entreprise relativement apatride à la signature inconnue et au
président d'une grande discrétion, Arcelor a payé le prix de son
absence de communication et personne n’a songé sérieusement à la
protéger contre l'investisseur indien. Les actionnaires furent peu
nombreux à vouloir se mobiliser pour défendre une entreprise qui
ne se singularisa pas par la qualité et la constance de ses
relations avec eux. Quant aux propres salariés d’Arcelor, et
notamment l’actionnariat salarié d’ailleurs très faible en
l’espèce (0,9%), l’absence de toute réaction marque une distance
forte proche d’un désaveu adressé à leur équipe dirigeante. On
peut émettre l’hypothèse que si demain Air Liquide faisait l’objet
d’une OPA, ses actionnaires hésiteraient longtemps à abandonner
une entreprise qui leur prête une attention constante.
Inconnue du grand public, Arcelor ne pouvait espérer que les
pouvoirs publics, nationaux et locaux, se mobilisent. Espérons que
ce constat soit fait par beaucoup de chefs d’entreprises, que ce
message soit entendu et que la communication financière ne soit
plus considérée seulement comme une communication technique vers
les investisseurs institutionnels, comme l’organisation des
Assemblées Générales pour les actionnaires individuels, comme
l’annonce de résultats à des intervalles de plus en plus
rapprochés. Face à la porosité croissante des cibles, chaque jour
plus et mieux informées, la communication financière des
entreprises doit devenir plus économique, plus corporate. Elle se
doit de travailler également au contenu de l’image. On peut
imaginer que toute la France se mobiliserait à nouveau si Danone
devait faire l’objet d’une OPA hostile. Il est à craindre que
certaines sociétés françaises, même si elles peuvent représenter
un intérêt stratégique national, ne puissent bénéficier du même
type de soutien actif. La réputation, l’image tant auprès du grand
public que vis-à-vis de ce que l’on appelle les stakeholders, sont
vraiment devenues un capital patriotique.
Jean-Yves Léger est Partner chez Euro RSCG C&O. Il a publié «
La communication financière », Dunod, 2003.
Thierry Libaert est Maître de conférences à l’Institut
d’Etudes Politiques de Paris. Il est l’auteur de «
Communication: la nouvelle donne», Village Mondial, 2004.
Magazine de la communication de crise et sensible.
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