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accueil > Tous les articles > Article 0149
 La fonction « achats » en question après l'affaire Faurecia

Communication de crise - le magazine vol.11
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Politiques industrielles
La fonction " achats " en question après l'affaire Faurecia
Didier Heiderich


Article paru dans "Les Echos" du 17/08/06

 

Les services achats se sont professionnalisés depuis une quinzaine d’années pour se positionner au cœur de la politique "cost killing" des grands groupes industriels. Dans l’entreprise, « les achats » se sont ainsi emparés d’une part importante du pouvoir pour devenir une fonction éminemment stratégique à tendance narcissique. Avec l’affaire Faurecia les vieux démons des pots-de-vin sont de retour. Mais cette crise n’est-elle pas simplement révélatrice des limites des stratégies « achats » ?

Dans les années 1990, avec sa galaxie d'équipementiers, l'automobile a été l'une des premières industries à utiliser le "cost killing". Cette politique, plus facile à mener en pressurisant les sous-traitants que ses propres employés, fut donc confiée dans l’essentiel de son application aux services achats priés de trouver ailleurs et moins cher. Cette stratégie de délocalisation de la production (dîtes "outsourcing") fut par ailleurs déclinée jusqu’à l’extrême lorsque Serge Tchuruk a annoncé en 2001 faire d’Alcatel un groupe "fab-less", c'est-à-dire une entreprise sans usine. Sans en arriver à cette extrémité, la professionnalisation des achats trouvait quelques vertus : mettre de l’ordre dans l’effroyable complexité des portefeuilles fournisseurs, recentrer les entreprises sur leur cœur de métier et "encourager" les sous-traitants à intégrer des méthodes modernes de gestion. Enfin, la modernisation des achats devait mettre un terme aux petites recettes qui faisaient les grands plats des acheteurs : dîners en ville, week-end en Tunisie et autres petits cadeaux qui facilitaient la prise de décision (dîtes "stratégie achats").

Même s’il est en perte de vitesse, le "cost killing" fut érigé en un mode managérial qui a trouvé ses limites dans la fragilisation de nombre de sous-traitants, a créé les conditions de l’intermédiation par les achats qui a "défluidifié" la relation entre ingénieurs, a délocalisé les productions vers des pays peu regardants du droit du travail et de l’environnement. Le "cost killing" est à l’origine de la déstructuration des tissus industriels locaux en occident, du démantèlement des savoir-faire et de la perte de la mémoire de nombre d’entreprises source d’explosion des coûts lorsqu’il faut réinventer systématiquement le fil à couper le beurre ou l’ARN messager. Pour finir, l’itération « faire mieux avec moins » a des limites : au-delà d’un seuil, le "cost-killing" n’est pas créateur de valeur mais un moyen d’accumulation des marges dans les strates supérieures des organisations (l’actionnaire et le client final) ce qui a pour effet d’assécher financièrement les lieux de création et de production.

Il y a dans cette politique de l’"outsourcing" des aspects sociologiques. Il apparaît clairement que nombre d’acheteurs sont de très jeunes cadres qui n’ont rien à envier aux loups de la finance : la capacité à réagir rapidement aux stimuli des marchés et une approche des flux très aiguisée mais aussi une vision radicale et le mercenariat pour rapport avec l’entreprise. Sortis des mêmes écoles, la pensée unique est une règle chez les jeunes acheteurs comme dans nombre de fonctions : la créativité des acheteurs est bridée par le clonage des formations, la standardisation des méthodes et la limite des logiciels. Enfin, il y a dans cette génération montante d’acheteurs un phénomène psychologique à prendre en considération : la virtualisation du monde forgée par les échanges électroniques et les jeux vidéos. A l’heure où les constructeurs n’achètent plus des pièces mais des sous-ensembles (dîtes "fonctions"), la dématérialisation porte en soi les gènes du "fab-less" dont l’une des composantes est le "risk sharing" (dîtes "Partage des responsabilités accru") qui consiste à également externaliser la conception en plus de la production et la logistique. Or, à force de perdre du savoir-faire, les donneurs d’ordres ne seront plus que des intermédiaires avec les dangers que cela suppose : la dématérialisation a pour limite ce que le steak virtuel a d’intérêt pour le client d’un restaurateur.

Nous sommes en droit de penser que l’"outsourcing" finira par s’autoréguler jusqu’à l’apparition de la prochaine prétention managériale. Une première alerte, à l’origine d’un coup de volant (dîtes "orientation stratégique"), s’était déjà produite lorsque Nike s’est trouvé confondu par le choix de ses sous-traitants. Nike s’est depuis acheté une vertu et plusieurs groupes lui ont emboîté le pas dans une relative transparence de leurs opérations délocalisées. De même, nombre d’entreprises ont eu à comprendre que "l’optimisation" par le coût de la main d’œuvre possède des revers que la déraison ignore. Bref, les méthodes de management gravées dans le marbre avant d’être effacées sont pléthores. Le "fabless" passera de mode lui aussi, même si un retour en arrière s’avère difficilement imaginable… sauf qu’à 200$ le baril de brent, on réfléchira au moyen de produire les biens matériels au plus près de leur lieu d’usage.

Mais si chez l’humain il réside des constantes qui dépassent les modes, l’appât du gain en est une. Or l'équipementier français Faurecia est présumé être au cœur d’un scandale de corruption à la hauteur de la puissance que possèdent « les achats ». L’équipementier est effectivement accusé d’avoir versé des pots-de-vin à des acheteurs de VW, Audi et BMW et selon des sources proches de l’enquête, il ne s’agirait pas d’un cas isolé. Cette affaire risque de modifier la donne des services achats qui vont devoir rendre des comptes plus précis qu’auparavant, comme ce fut le cas pour la fonction « finance » après l’affaire Enron.

La réputation des donneurs d’ordres et des équipementiers ne risque pas de sortir grandi de cette crise : toutes les marques automobiles éclaboussées par l’affaire Faurecia devront trouver des finesses de communication pour expliquer l’intérêt du "cost killing", de l’"outsourcing" ou du plus actuel "risk sharing" à leurs sous-traitants. Mais avant tout cette histoire nous rappelle que l’essence des organisations est humaine : quelque soit le professionnalisme d’une fonction de l’entreprise, l’humain conserve une part d’imprévisible.

Au-delà de l’opprobre jeté sur quelques uns, autant qu’une faillite morale, l’affaire Faurecia pose la question des faiblesses de l’"outsourcing" : comment se fait-il qu’une entreprise aussi performante se trouve en situation de devoir contourner le système pour obtenir des marchés ? Est-ce lié à la politique de mise sous pression des sous-traitants ? Quelles sont les failles dans les stratégies, le pilotage et les opérations fondés sur l’"outsourcing" qui conduisent à cette situation ? Qu’est-ce qui dans des méthodes ne fonctionne pas ? Les stratégies achats ne sont-elles pas le fruit du prêt-à-penser (dîtes "logique de choix collectif") plutôt que de la pensée stratégique ? Faut-il se conformer aux stratégies ambiantes et corriger les erreurs par le pilotage ou se singulariser ? Et si l’on souhaite adopter d’autres modèles, quels sont les écarts (dîtes "facteurs de différenciation") acceptables par la communauté ?

Mais dans tous les cas, notons qu’à chaque fois que celles-ci s’érigent en maître, les tours de Babel managériales créent un risque d’effondrement à la hauteur des ambitions qu’elles affichent. Même les tout-puissants services "achats" devront se souvenir que les crises se nourrissent avant tout de croyances, d’ignorance et de prétentions.

D.H.

Didier Heiderich est président de l'Observatoire International des Crises

 

 

 

 

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