Tout semble avoir été dit sur l’affaire Zidane et sur une
action d’une demi-seconde, les commentaires se sont multipliés,
invoquant soit la dimension mythologique de l’homme rattrapé par
son destin, soit se concentrant prosaïquement sur la violence
larvée du jeu ; le football est un sport de brutes.
Nous nous en voudrions d’oublier cet événement au regard de la
communication de crise, d’autant qu’il nous rappelle deux
enseignements majeurs.
Le premier est qu’une crise rejette dans l’ombre les crises
d’intensité immédiatement inférieures. Rappelons-nous le 8 juillet
1982 : la France est en demi-finale de la coupe du monde qui se
joue en Espagne. Après un match épique où la France menait 3-1
face à l’Allemagne, elle se fait rejoindre 3-3 dans le dernier
quart d’heure. Se joue alors l’épreuve des penalties, Didier Six,
bientôt suivi de Maxime Bossis, s’élance et rate son tir, la
France ne jouera pas la finale de la coupe du monde. Didier Six
racontera plus tard qu’il eut le sentiment que sa carrière
s’arrêta net et qu’il serait toujours l’homme qui ruina les
espoirs du football français.
9 juillet 2006, lors de l’épreuve ultime des tirs au but
destinée à départager la France et l’Italie en finale de la coupe
du monde, un joueur, un seul, rate son tir et prive la France d’un
2ème titre mondial après celui de 1998. Toutefois, aux yeux de
tous, ce penalty manqué est considéré comme oublié face à
l’événement présenté par la perte de contrôle de Zidane face à
l’italien Materazzi. La bévue de David Trézéguet dont le tir
heurta la barre transversale fut aussitôt oubliée.
Mais, l’enseignement majeur est à retirer auprès de Zidane
lui-même. La 1ère leçon de toute stratégie d’anticipation de
crise réside dans la construction d’un solide socle réputationnel.
Une bonne réputation amoindrit l’impact de la crise, celle-ci sera
attribuée à la force majeure, au manque de chance, ou au coup de
sang d’un homme de la mère duquel on avait eu le tort d’insulter
l’honneur. C’est ainsi que Danone a pu traverser sans dommage la
crise de 2001 liée à l’annonce de la fermeture de l’usine Lu de
Boulogne–sur-Mer. A l’inverse, des entreprises qui durant
longtemps ne se soucièrent guère de leur image comme Total ou
Vivendi restent scotchées dans la profondeur des classements
d’entreprises depuis les catastrophes de l’Erika pour Total et la
déroute financière de Vivendi en 2003.
Dans ces dernières hypothèses, il n’est nullement question de
circonstances atténuantes, et pour le public, si crise il y a eu,
c’est avant tout pour des motifs d’incompétence voire de
malhonnêteté (1). Le fait que Zidane soit la personnalité préférée
des français lui a permis d’obtenir un pardon immédiat, alors même
qu’on peut imaginer que le même geste de violence exécuté par
William Galas, Florent Malouda ou Pascal Chimbonda leur aurait
valu l’opprobre publique et vraisemblablement un lynchage
médiatique.
Cette réputation permet également de faire l’économie d’un
message fort et cohérent. Déjà en 1986, en quart de finale
contre l’Angleterre, Maradona peut invoquer « la main de Dieu »
pour ce qui n’était qu’une tricherie d’un but marqué avec l’aide
de la main. Le message de Zidane : « Je demande pardon mais je ne
regrette pas mon geste » évoque curieusement le « responsable mais
pas coupable » énoncé en 1991 par Georgina Dufoix dans sa défense
sur l’affaire du sang contaminé. La différence est que, dans ce
dernier cas, la citation apparut comme un artifice du ministre de
la santé et contribua à son retrait de la vie politique. A
l’inverse, celle de Zidane apparaît comme celle d’un homme
d’honneur, profondément blessé, à la limite du statut victimaire.
Plutôt que de s’inspirer exclusivement de L’art de la guerre de
Sun Tsu, le communicant de crise devrait revisiter les fables de
La Fontaine : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les
jugements de cours vous rendront blanc ou noir ».
Thierry Libaert.
(1) : Sur ce point les résultats de l’enquête CSA de novembre
1999 restent d’une étonnante actualité.
Thierry Libaert est maître de conférences à l’Institut d’Etudes
Politiques de Paris. Il est l’auteur de La communication de crise,
Dunod, 2ème édition 2005.
Magazine de la communication de crise et sensible.
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