Le
poids des enjeux économiques dans les débats de société impose
aujourd'hui aux dirigeants d’entreprises de prendre en compte et
surtout de s’impliquer sur des problématiques sociopolitiques.
Ceci ne représente pas une rupture par l’approche traditionnelle
qui veut que le seul objectif pour un dirigeant doit être la
création de valeur pour l’actionnaire. Il s’agit simplement d’un
élargissement du spectre d’intervention de l’entreprise, lié à
l’accroissement des attentes et du nombre de ses stakeholders,
dans une optique de création de valeur durable.
La place de l’incertitude
L’environnement de l’entreprise se caractérise par un certain
degré d’incertitude concernant les évolutions technologiques,
concurrentielles, de régulation, sociétales et plus largement
macroéconomiques. Face à cette incertitude, l’entreprise a deux
postures possibles. La première attitude consiste à développer une
capacité d’absorption des incertitudes, c’est-à-dire une capacité
à encaisser les risques et les opportunités. Cette tactique
implique généralement une position dominante sur un marché
permettant par exemple d’engager une guerre tarifaire afin
d’empêcher l’émergence de tout nouvel entrant. C’est généralement
la posture adoptée par les anciens monopoles au moment de
l’ouverture à la concurrence de leur marché. Dans les
télécommunications, si l’on regarde après quelques années de
libéralisation des marchés en Europe, il apparaît que cette
posture est relativement efficace. En effet, dans la plupart des
pays, les anciennes entreprises d’Etat restent dominantes. Et sans
l’insistance du régulateur dans le cas de la France, cette
situation serait certainement encore plus forte. On peut cependant
s’interroger sur le caractère réellement durable d’une telle
attitude. Ainsi, France Télécom ne semble pas avoir mesuré à son
juste niveau le développement de technologies concurrentielles
comme la VoIP. Ce qui contraint aujourd’hui l’opérateur historique
à faire des choix stratégiques forts et risqués impliquant des
investissements lourds dans la fibre optique afin de reprendre la
main sur le plan technologique.
La seconde posture associe des capacités d’anticipation
stratégique et d’agilité organisationnelle. L’anticipation
stratégique est une disposition intellectuelle de la part des
dirigeants visant à recueillir des données et des informations en
continu pour décrypter les changements en cours et surtout à
rechercher de nouveaux schémas d’analyse porteurs d’avenir. Il
s’agit ainsi pour le dirigeant de se mettre dans une disposition
d’écoute de son environnement. Toutefois, la connaissance en tant
que telle n’a que peu d’utilité si elle ne conduit à une mise en
œuvre. Il est nécessaire d’initier un processus « Think : Act »,
passer de l’intuition entrepreneuriale à la mise en œuvre
opérationnelle. Pour cela, l’entreprise doit disposer d’une
certaine agilité organisationnelle, une capacité à changer, à
intégrer de nouvelles méthodes, à se réformer. Dès lors, la notion
de flexibilité apparaît centrale pour que l’entreprise puisse
installer de nouvelles activités ou en abandonner d’anciennes
jugées non stratégiques. Cette seconde posture caractérise plutôt
les entreprises en situation de challengers. Toutefois, les
entreprises dominantes qui réussissent à s’inscrire dans cette
logique d’anticipation / agilité, démontrent une redoutable
efficacité et assoient un peu plus leur leadership. 3M est
certainement un bon exemple à cet égard. Ce groupe américain
multisectoriel est en constant renouvellement. Dans un autre
registre, IBM peut également être cité en exemple. Avec, dans ce
cas, ce que l’on appelle une capacité de résilience.
Il est difficile de juger de manière global laquelle des deux
postures est la plus pertinente. On constate d’ailleurs que les
entreprises associent souvent les deux postures. Toutefois, on
peut constater que la tactique d’absorption va privilégier des
enjeux d’efficacité opérationnelle (réduction des coûts, lean
manufacturing) dans une logique de croissance externe. Alors que
la posture d’anticipation stratégique / agilité organisationnelle
privilégie la croissance par conquête de marchés, plutôt sous
forme de croissance organique et une orientation marquée sur la
relation client.
C’est dans le cadre de cette seconde posture que l’intégration
et l’intervention sur les enjeux sociopolitiques seront les plus
fortes.
L’entreprise et le contrat social
Comme nous l’indiquions en introduction, l’entreprise fait face
à une intensification des pressions externes et à une
complexification des forces en jeu. Par ailleurs, la capacité de
mobilisation de l’opinion publique par les différentes parties
prenantes de l’entreprise s’est considérablement accrue et
accélérée grâce aux nouvelles technologies d’information et de
communication. De manière schématique, on peut dire que les
pressions externes des consommateurs, des associations
environnementales et même des régulateurs tendent à élargir le
contrat social passé entre l’entreprise et la société (fondement
du « license to operate »). Offrant à l’entreprise à la fois des
opportunités et des menaces.
Ainsi, les entreprises ont toujours eu un contrat avec la
société, plus ou moins formel, aux frontières mouvantes suivant
les époques. La partie formelle regroupe les contraintes légales
et contractuelles. La partie semi formelle peut se définir ainsi :
« les attentes implicites des stakeholders, qui si elles sont
ignorées peuvent entraîner des réactions à l’encontre de
l’entreprise » (McKinsey Quarterly, 2006).
Il faut noter que le champ du contrat social est mouvant. En
effet, certaines problématiques semi formelles peuvent devenir
obligatoires. On peut relever dans ce cadre l’obligation faite aux
entreprises cotées de communiquer sur leurs résultats
environnementaux et sociaux (loi NRE). En sens inverse, on note
que la dérégulation de certains marchés conduit à un allègement
des contraintes, notamment de service public, dans le volet
formel.
De même, certains débats de société tels que l’obésité, la
préservation des ressources naturelles, l’enseignement, entrent
dans le spectre des enjeux sociaux où l’on attend l’entreprise.
L’entreprise face aux enjeux sociopolitiques
Dès lors, les entreprises doivent prendre en compte les enjeux
de société actuels et évaluer l’impact qu’ils peuvent avoir sur la
marche des affaires.
Identification des enjeux d’opinion
Face à la montée croissante des attentes, les entreprises
doivent être en mesure de les anticiper, de les comprendre et
surtout de les intégrer dans leur stratégie.
Au-delà de ce constat de bon sens, les experts de McKinsey
notent une certaine inaptitude des dirigeants actuels à intégrer
ce que Joseph Nye appelle les « Soft forms of Power » (basés sur
l’influence par la culture et l’idéologie), dans leurs modèles
standards d’analyse stratégique.
Toutefois, les enjeux sont considérables. On peut identifier
trois grandes incidences :
- les forces en présence peuvent altérer fondamentalement
l’image et le fonctionnement d’un secteur industriel
(agroalimentaire, chimie, pharmacie),
- l’impact financier immédiat et de réputation à long terme
peut être très important (Monsanto, Nike, Total, Exxon)
- de nouveaux produits et de nouveaux marchés peuvent émerger
avec les évolutions socio politiques (environnement et automobile,
le marché des célibataires).
Sur le plan opérationnel, les dirigeants doivent mettre en
œuvre des systèmes de veille de l’opinion, analyser les évolutions
puis en mesurer les impacts sur l’entreprise avant de définir une
stratégie d’intégration de ces nouveaux enjeux. Dès lors,
l’entreprise doit juger de l’opportunité de s’engager dans des
débats externes et évaluer la pertinence de partenariats ou autres
formes de coopération avec des entités externes.
Toutefois, il n’y a pas ici de place pour l’angélisme. Le but
principal de l’entreprise reste de dégager des niveaux de profits
assez importants pour assurer sa pérennité. Il ne s’agit pas pour
l’entreprise d’être guidée par les attentes de ses stakeholders
(qui sont souvent contradictoires), mais de savoir qualifier les
enjeux réellement porteurs de risques et d’opportunités puis d’en
dégager des actions susceptibles d’être expliquées et confrontées
à la fois aux attentes internes et externes à l’entreprise. Il
faut au final que les dirigeants aient des convictions !
* Ce texte s’inspire très largement de deux articles :
- « When social issues become strategic », McKinsey Quarterly,
mars 2006
- « Difficult decisions for an uncertain world », Financial
Times, 16/03/06, Donald Sull
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Benoît MATHIEU – Gérant Objectif Opinion
Magazine de la communication de crise et sensible.
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