Mare Tranquillitatis, Lune, le 20 juillet 1969. La terre
entière retient son souffle. Communication « one-to-one » entre le
LEM et le Capcom basé à Houston. Un grésillement pour bruit de
fond, quelques échanges accompagnés de « bip » de confirmation,
alunissage. Armstrong s’adresse à l’univers: “That's one small
step for man, one giant leap for mankind.” Communication “one-to-many”.
Ces paroles resteront longtemps gravées dans l’histoire de
l’humanité. Vue de la lune, la terre nous paraît incroyablement
petite, belle et fragile.
2006, Internet. Google Earth. Ballade virtuelle sur un monde
réel, un peu plus fragile qu’en 1969. Certainement plus fragile.
Sur cette cartographie se multiplient de simples points. Ils
longent le transsibérien, semblent recouvrir des zones entières de
l’Asie. Une autre ligne réalise un trait d’union entre l’Asie et
l’Europe de l’Est. Quelques points paraissent trahir les
agglutinats pour s’égarer en Afrique et en Europe de l’Ouest.
Chacun d’entres eux représente un foyer du H5N1. La surface de la
terre ne possède pas de centre, les crises qui secouent notre planète
aussi. Et s’il existe des crises globales qui transcendent les clivages
et se passent des frontières, la grippe aviaire en est une. Ce
numéro ne pourra en faire l’économie.
Autres foyers. Autres cartes, indécentes, absentes de Google
Earth. Celles du déficit en eau potable, de la faim, de la progression
du Sida, des conflits larvés, de la circulation des armes, des
violences que subissent les femmes partout dans le monde, de
l’économie de la drogue, des revenus de la prostitution qui
marbrent les luxueuses villas de la Côte d’Azur, du travail des
enfants dont les produits ornent nos étalages, de la complicité
entre le libéralisme sauvage et la sauvagerie du régime chinois,
de la fonte de la calotte glacière, du recul des forêts
amazoniennes. Vue de la «Mare Tranquillitatis », notre petite
planète est en crise. Une crise de régime, de surrégime devrais-je
dire. Globale.
Depuis plus de cinq ans, ce magazine s’efforce d’expliquer les
ressorts de la communication de crise et de la gestion de crise.
Nos colonnes ne sont pas partisanes et s’ouvrent à des
sensibilités différentes. Mais tous réalisent le même constat. Les
crises semblent former un continuum dans l’espace et le temps. Et
avec la densification de moyens de communication, la communication
de crise se complexifie. Crise d’adolescence ? La discipline
évolue pour laisser place à la communication sensible et à
l’intraduisible «issues management» des anglo-saxons. Nous vous
devions un numéro à la hauteur de l’enjeu de la globalité, plus
modestement, un numéro moins franco-français.
Comment remercier nos contributeurs qui abandonnent de rares
heures de loisir pour partager leur savoir ? Comment vous exprimer
ma surprise, si souvent renouvelée, de la facilité avec laquelle
nombre d’entres eux acceptent spontanément nos sollicitations
alors qu’ils n’ont nullement besoin de notre magazine pour asseoir
leur réputation ?
Pour Christophe Roux-Dufort, « une crise est l’accumulation de
fragilités, plus l’ignorance. » Notre modeste magazine ne peut
rien contre les fragilités du monde. Mais petits pas par petits
pas, nos contributeurs participent à cette longue marche,
entreprise par nombre de supports en ligne, qui nous éloignent
lentement de l’ignorance.
Didier Heiderich
Président de l'Observatoire International des Crises
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