En temps de crise, la puissance des médias audio-visuels
pour générer une émotion collective, cibler une marque ou un homme
n’est plus à démontrer. En début de crise, leur rapidité
d’intervention et de diffusion leur confèrent souvent un avantage
décisif sur la presse écrite.
Les évolutions récentes des médias imposent aux gestionnaires
de crise d’adapter leurs méthodologies selon les pays.
Du différé au direct.
Depuis 15 ans, j’enseignais aux responsables d’entreprises en
crise qui allaient passer à la télévision des règles de base qui
s’appliquaient très bien aux caractéristiques des médias
audio-visuels hexagonaux :
En situation de crise, l’entreprise doit souvent faire face à
une équipe de tournage pour un reportage en différé. Les
journalistes arrivent rapidement sur les lieux de la crise, se
documentent lors du trajet, interviewent le responsable de
l’entreprise puis les autorités, les témoins ou les syndicats,
selon la crise. L’équipe repart le plus vite possible dans sa
rédaction pour effectuer le montage du sujet avant d’être diffusé
lors des journaux ou en continu sur LCI ou I Télévision. Dans ce
type d’interview, l’entreprise doit répondre, en général, à une
dizaine de questions maximum. Au final, seule une réponse ou un
bout de réponse, d’une durée d’environ 10 à 20 secondes est
diffusé. Aviez-vous remarqué que le journaliste de terrain est
presque toujours invisible et que sa question n’est pas diffusée ?
Dans le reportage, les réponses des interviewés se succèdent
encadrées par les propos de la « voix off » du reporter. Il est
essentiel de bien intégrer cette dimension pour une communication
de crise efficace.
Une entreprise en crise doit donc toujours se fixer comme règle
de préparer une question réponse, passant bien à l’oral, et
d’identifier le message principal qu’elle veut faire passer.
Inutile de préciser que cette règle de bon sens est souvent
bafouée face à l’urgence et au manque de préparation.
Prenons un exemple, suite à un l’incendie de votre usine, il y
a de nombreux morts et blessés. Votre message initial ne peut
généralement être que la compassion car vous connaissez rarement
immédiatement les circonstances de l’incendie. Vous risquez de
vous faire piéger si à la question « la sécurité n’est elle pas
une priorité pour votre entreprise ? » vous répondez, pensant bien
faire « oui, nous sommes certifié, nous avions fait un exercice le
mois passé … »
Au final, si la rédaction préfère cette dernière réponse, vous
pourriez apparaître comme arrogant et/ou insensible auprès des
familles des victimes et de votre personnel.
La règle fondamentale est alors de placer son message à chaque
réponse, c’est l’assurance tout risque qui évite de se faire
piéger. Cela nécessite un vrai apprentissage car cela ne se résume
pas à répéter la même réponse quelque soit la question.
Mais aujourd’hui ces règles bien admises le sont elles encore ?
J’en doute dans certains cas.
En effet, la montée en puissance des chaînes de proximité en
France avec la TNT change la donne. Une entreprise en crise devra
de plus en plus faire face au direct. Ce principe s’applique avec
force dans d’autres pays développés et surtout aux USA.
La situation est alors bien différente :
Le car régie est aux grilles de l’usine, le journaliste en pied
est visible à l’écran, on entend la question et la réponse. Plus
de subterfuge, plus d’échappatoire. La question est là et il faut
répondre immédiatement ! L’entreprise devra alors apprendre à «
scénariser » son intervention et à répondre à la question tout en
plaçant son message. Tout un art !
S‘adapter aux particularismes locaux
Mais d’autres facteurs sont à prendre en compte. Nous pouvons
donner l’exemple de la cou-leur du deuil qui est le blanc dans
certains pays d’Asie, un porte parole féminin dans certains pays
islamiques sera mal perçu et tant de signes particuliers propres à
chaque culture.
Dans certains pays, comme la Belgique, les Etats-Unis, le
Canada le multilinguisme a favorisé des médias ciblés par langue.
Il y a des médias diffusés en turc en Allemagne. L’entreprise doit
donc s’adapter et former des porte-parole multilingues ou
différents représentants par langue ou par groupe ethnique.
Dans d’autres pays enfin, la télévision reste aux ordres du
pouvoir. Les relations presse laisseront la place aux affaires
publiques et aux stratégies d’influence.
Mais partout un nouveau phénomène apparaît : l’image, perçue
comme la vérité, n’est plus l’apanage des médias traditionnels.
Partout sur internet fleurissent des chaînes différentes sans
rédaction. Leurs « journalistes » sont de simples citoyens armés
de leur caméscope ou de leur appareil photo caméra qui diffusent
en direct leurs images de l’événement : le tabassage d’un homme
noir à la Nouvelle-Orléans, les images des attentats de Londres
circulent instantanément sur la toile forçant les autorités à
faire évoluer leur défense.
L’entreprise devra apprendre à surveiller et gérer ces nouveaux
flux qui pour beaucoup re-présenteront une information libre et
indépendante. Si le message de l’entreprise vient en contradiction
avec ces images, il est fort à parier qu’elle perdra toute
crédibilité aux yeux de l’opinion. Et pourtant dans ce domaine de
nombreuses manipulations sont faciles.
Verra t-on ceux qui critiquent aujourd’hui le travail des
médias audio-visuels se mettre à regretter le temps des
journalistes ?
Alain Pajot
Atlantic-Intelligence - Directeur du Pôle Communication sensible
apajot@atlantic-intelligence.fr
www.atlantic-intelligence.fr
Article publié dans le Magazine de la communication de crise et
sensible vol. 11
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