Les entreprises asiatiques ne se contentent plus de proposer
des usines dont la main d’œuvre est à bas coûts. De grands groupes
industriels et financiers sont nés, qui achètent aujourd’hui
quotidiennement des entreprises européennes, pour s’approprier une
part de marché, mais surtout acquérir la technologie qui leur fait
défaut. L’OPA Mittal Steel est un puissant révélateur du
basculement du dynamisme économique.
Une vision mondialiste de l’économie
L’éveil de la Chine et de l’Inde est une antienne devenu un
lieu commun. La nature de leur éveil n’est pas commun. Les nations
occidentales, Europe et États-unis ont connu au 19e et 20e siècle
un essor progressif. Ces continents ont connu la machine à vapeur,
puis l’électricité, puis le téléphone, puis la télé, puis
l’ordinateur.
Ces dragons asiatiques, pays d’enfermement, l’un par les
castes, l’autre par le communisme, ont libéré un gigantesque bond
en avant. Ces pays ont raccourci l’histoire en comprimant les
phases d’apprentissage. Ils sont passés du boulier à l’ordinateur
en une décennie. Les pays occidentaux en sont encore à tenter un
développement sur le marché chinois, comme pour l’automobile, que
les chinois en sont à envisager la conquête des marchés mondiaux.
La “vielle Europe” en est encore à se demander comment se
protéger de la mondialisation, quand les asiatiques en sont à
s’approprier la mondialisation à leurs profit.
Les asiatiques ne se demandent pas si le chat doit être vert ou
rose. Ils appliquent le principe “qu’importe la couleur pourvu que
le chat attrape des souris”. Les laborieuses souris asiatiques
sont devenues des chats et les pays européens sont transformés en
souris. Les pays européens vont récupérer les miettes du fromage
chinois, quand les Chinois achètent les usines de fabrication de
fromage.
Mittal Steel ne cherche pas à fermer les usines françaises pour
les délocaliser dans les pays à bas coût de main d’œuvre. Quand
Lenovo s’empare d’IBM computers ce n’est pas uniquement pour
acquérir une part de marché. Quand les chinois TCL et le Coréen LG
s’emparent respectivement de Thomson et Philips, ce n’est pas
uniquement pour combler les pertes des industriels européens dans
la télévision.
Le parti communiste, paradoxe de l’histoire, à produit des
cadres, qui se rêvent aujourd’hui en grands timoniers du monde.
Les successeurs de Mao ont récrit l’histoire en lançant le grand
bond économique en avant.
La technologie intéresse les acheteurs
Les asiatiques achètent évidemment des parts de marchés. Mais
le marché de l’Europe de l’Ouest est atone depuis des années.
Croissance en berne et perte de valeur rapide, en Euros constants,
due à la pression sur les prix. Un téléviseur perd 50 % de son
prix de vente tous les 6 mois. Les asiatiques sont venus chercher
tout autre chose : une plate forme pour conquérir le monde. Et
cette plateforme s’appelle la technologie.
Mittal Steel ne vient pas fermer les usines, au contraire. Il
manque aujourd’hui de capacité de production d’acier dans le
monde. Mittal Steel, s’il réussit son OPA, serait inconséquent de
fermer les usines Arcelor. Ces usines sont des pépites…bourrées de
technologie. Arcelor produit un acier de haute technologie, quand
Mittal Steel produit de l’acier “commun”. L’affrontement a lieu
non pas entre deux géants de l’acier, mais entre un monde endormi
et un monde en ébullition. Si Mittal Steel mettait la main sur
Arcelor, le groupe disposerait demain de la meilleure technologie
et pourrait dominer la planète de l’acier qualitatif, à forte
valeur ajoutée.
Quand Lenovo achète IBM, le constructeur ne détient que 25 % du
marché asiatique. Avec Ibm, il achète une image, du savoir faire
et une technologie, pour se hisser au…3em rang mondial de la
production d’ordinateurs. Le prix d’achat sera vite rentabilisé
puisque le transfert de technologie permettra d’inonder l’Asie,
nouvel eldorado commercial, d’ordinateurs de premier choix, à prix
compétitif.
Quand le chinois TCL et le Coréen LG rachètent des ténors, en
perte de vitesse, de la télévision, ce n’est pas uniquement pour
les parts de marché, inégales d’ailleurs. Les deux firmes
rachetées, Thomson et Philips, étaient des marques leaders de la
télévision à tubes. Le marché a basculé. Les européens achètent de
l’écran plat. Une technologie qu’il va falloir maîtriser, mais
qu’achètent les consommateurs asiatiques ? En achetant des marques
françaises de télé, les asiatiques ont acheté deux technologies.
D’un part celle de la télé à tube qui va vivre encore de belles
années sur les marchés émergents, aujourd’hui en forte croissance
; d’autre part de la technologie de fabrication. Les usines
asiatiques produisent à très bas coût…mais avec une très faible
productivité. Demain, les asiatiques, Chinois ou Indiens
produiront à bas coût…avec la productivité et la qualité
occidentale. C’est ce que vise Mittal Steel !
L’Europe en état d’urgence
Le pillage technologique de l’Europe ne fait que commencer.
Chaque jour les entreprises annoncent des délocalisations. Le
savoir faire occidental s’échappe quotidiennement en Asie, Chine,
Inde et Turquie.
L’Asie réédite l’exploit du Japon des années 50/60. Ce pays
écrasé sous la puissance nucléaire a proposé de devenir l’usine du
monde à bas coûts. 30 ans plus tard, le Japon était la deuxième
économie mondiale. Le Japon s’était approprié toute la technologie
mondiale, pour la faire prospérer de manière exponentielle. Mais à
l’époque l’Europe vivait les trente glorieuses.
Aujourd’hui la Corée négocie le TGV…avec transfert de
technologie. La Chine achète des Airbus…avec transfert de
technologie. Les entreprises chinoises ont effectué, en 2005,
plusieurs centaine de prises de participations en Europe,
particulièrement en Allemagne, pays de richesse technologique.
C’est autant de transferts de technologie qui s’effectuent.
Les salariés de Hewlett Packard ont clamé qu’ils formaient les
techniciens indiens pour pouvoir les remplacer.
Les fabricants occidentaux de voiture peinent à s’implanter en
Chine. Un fabricant Chinois a acheté la technologie pour produire
un vieux modèle tout terrain a un prix défiant toute concurrence,
qu’il commercialise en Europe. Dans 10 ans, ce fabricant chinois
produira probablement les 4X4 les plus compétitifs du monde ! Le
deuxième producteur de voiture au monde (bientôt premier) n’est
t-il pas Japonais quand Detroit s’enfonce dans la crise.
L’Europe aborde un virement majeur. La menace économique n’est
plus constitué par les délocalisations, mais par les transferts de
technologie qui accompagnent les délocalisations. L’Asie n’est
déjà plus l’usine du monde, mais est en passe de devenir le centre
technologique du monde. L’exemple de transfert de centres R&D en
Inde est criant.
Les Européens sont confrontés à un défi gigantesque : vont-ils
être capables de préserver une industrie ? La technologie se
transfère quotidiennement en Asie…sans contrepartie.
L’Asie bouillonne, l’Europe est ébouillantée. Le vrai débat que
les hommes politiques doivent entamer n’est pas de savoir si le
gouvernement doit contrer Mittal, mais comment “relocaliser”
d’urgence la technologie et des activités industrielles en Europe.
Mittal est un symbole. Celui du nouveau monde qui recompose
l’économie mondiale, à son rythme, rapide ; et qui tente de
s’approprier brutalement la technologie de l’ancien monde.
Pascal Ragot
Spécialiste incontournable de la gestion de crise et du
mediatraining, Pascal Ragot capitalise plus de 20 ans
d'expérience, acquise principalement au sein de grands groupes de
communication. Ses récentes interventions ont été réalisées au
profit de : L'Autorité de Sureté Nucléaire, Pionner, Whirlpool, La
Fondation Orphelins Apprentis d'Auteuil, Metaleurop, TTE/Thomson,
Kodak, Jacob Delafon. Contact :
pascalragot@wanadoo.fr
Article publié dans le Magazine de la communication de crise et
sensible vol. 11
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