En tant que media trainer, je suis souvent sollicité par des
entreprises ou des organismes en situation de crise. Ces crises
ont été aussi variées que l’expérience humaine le permet : rappel
de salami, turpitudes d’une célébrité (dont nous tairons le nom)
jusqu’aux situations extrêmes comme les épidémies ou le
déraillement d’un train. Mon expérience couvre un large champ
depuis de grands groupes de plusieurs milliers d’employés
jusqu’aux petites sociétés de cinq personnes. J’ai également
soutenu des PDG et des ingénieurs spécialistes du domaine
sanitaire. Nous pourrions multiplier les exemples, mais quelque
soit la crise, un facteur récurrent demeure: la peur.
Bien entendu, nous pouvons trouver dans nos activités
quotidiennes une multitude de raisons d’avoir peur. Vivre est
dangereux par nature. Nous pourrions même penser que se lever
chaque matin tient du miracle car le danger est partout. Dans le
monde des affaires, une poignée de main peut s’avérer dangereuse ;
le politique pourra craindre un sourire ; l’écologiste aura peur
de l’air qu’il respire. Les responsables verront des vies dépendre
de leurs décisions. A une moindre échelle, votre salaire peut
dépendre d’une seule de vos décisions. En situation de crise, le «
facteur peur » peut s’accroître pour devenir le plus présent en un
lieu. Oui, il est possible de sentir une peur ambiante.
L’argument pourrait être de considérer la peur comme un élément
positif qui permet de garder les pieds sur terre. Mon expérience
démontre le contraire, la peur est mauvaise conseillère et altère
la capacité de décision. Les individus peuvent être amenés à se
focaliser sur ce qui pourrait se produire plutôt que sur les faits
ce qui leur interdit d’agir à bon escient.
Mon job consiste à les soutenir dans leur communication alors
qu’ils sont en situation de crise. Or, la communication est
primordiale dans de telles situations : des personnes dépendent
directement de l’information diffusée ou attendent que leurs
appels à l’aide soient entendus. D’autres personnes, indirectement
affectées, ont besoin de savoir ce qui se passe. Enfin, il y a
également l’inévitable corpus des spectateurs de la crise.
La peur rend la communication difficile. Prenons pour exemple
Michael Brown, directeur de la Federal Emergency Management Agency
aux USA, universellement blâmé pour la lenteur de son action
consécutivement au désastre de l’ouragan Katrina en Louisiane. Il
est resté pendant des heures à Washington à attendre que d’autres
agissent à sa place et après avoir été licencié, a rejeté la faute
de son inaction sur d’autres acteurs. La responsabilité d’une
agence fédérale de gestion des secours impose, lors d’une
catastrophe de cette ampleur, d’être au cœur de l’action plus
rapidement qu’Anderson Cooper, le « chevalier blanc » de CNN. Non
seulement il aurait pu venir en aide aux victimes, mais il aurait
probablement conservé son job. La première chose que je déclare
aux personnes confrontées à une crise se résume simplement à : «
remontez vos manches et allez au charbon ! » Non seulement vous
soutiendrez tous ceux qui ont besoin de votre aide, mais il s’agit
du meilleur angle d’attaque d’une crise.
On pourra regretter qu’un responsable en situation de crise ne
soit pas jugé uniquement sur ses actes, mais sur la perception de
son action. J’admets qu’il est très dur de faire correctement son
travail lorsque l’on est coincé au centre d’un bassin, cerné par
les requins de la presse. Mais si vous considérez les médias comme
une ressource plutôt qu’une menace, ils peuvent devenir utiles sur
deux plans : en fournissant l’information nécessaire à ceux qui
ont en besoin et servir de baromètre de l’opinion publique. Car
les échanges entre un gestionnaire de crise et les médias sont
bidirectionnels. Vous pourrez utiliser les médias pour agir en les
considérant comme… des médias : un moyen d’acheminement de
l’information. Plus vous fournirez d’informations, moins les
médias seront tentés de spéculer et seront sensibles à la rumeur
ou aux propos incendiaires issus d’autres acteurs. Dites-leur ce
que vous savez, mais surtout pas plus.
Voici un exemple que je ne comprendrais jamais. Gordon
Campbell, premier ministre de la Colombie Britannique, fut dépêché
sur le naufrage du ferry Queen of the North, ce qui pouvait
sembler à priori positif. Il félicita les secours d’avoir évité
une catastrophe mais ceci avant même de savoir si un drame s’était
joué et pour découvrir dans un second temps que deux personnes
n'avaient pas échappé à la mort par la noyade. Ce fut stupide et
n’a fait qu’amplifier l’angoisse des familles des victimes.
Parlez-en à vos connaissances, mais évitez de faire des promesses
prématurées et non fondées sur des faits. Tout ceci peut sembler
simpliste, mais en situation de crise les individus réagissent
rarement dans leur propre intérêt. Car au delà de l’analyse
rationnelle, nous restons des créatures émotives souvent dirigées
par nos sentiments. Le premier ministre a ainsi cédé à la fois à
la pression qui le plaçait au premier plan et au soulagement face
à une menace qu’il imaginait disparue.
Les journalistes restent d'excellentes sources d'information,
même lorsqu'ils posent des questions brutales. Si vous êtes
véritablement en position d’écoute des journalistes, leurs
questions vous en apprendront beaucoup sur la situation de crise :
après tout, elles sont formulées pour recueillir de l'information.
Les ignorer ou les exclure serait périlleux car vous avez besoin
de l’information qu’ils peuvent vous fournir. Ecouter
attentivement les journalistes, sans crainte, trouvera également
sa récompense dans l’intelligence qu’ils vous rendront en retour.
En situation de crise, il est difficile de considérer les
journalistes autrement qu’une menace. Mais si vous considérez
chaque rencontre avec les médias comme une opportunité de
communiquer vers vos publics cibles, si vous passez outre les
tensions, vous pourrez maîtriser la presse et en faire un moyen de
vous adresser à l’opinion publique.
Les personnes sont généralement effrayées à la vue d’un stylo
ou d’un appareil photo. Cette crainte est légitime, surtout si
vous avez le tempérament de Michael Brown nommé ci-dessus. Mais si
vous relevez vos manches et allez à la rencontre des médias pour
leur expliquer simplement comment vous relevez vos manches et
attaquez la crise, vous n’aurez rien à craindre d’eux.
Il est important de considérer votre rôle de communicant. Votre
vérité est souvent aussi importante, sinon plus, que les rumeurs
qui tourbillonnent autour de la situation de crise. Mais elle
n’est pas si EVIDENTE que vous pourrez l’imaginer. Il vous faudra
être clair dans vos énoncés et explications. Ceci demande
d’identifier vos messages clés et de les soutenir par des
illustrations et des exemples marquants. C’est à vous de fixer
votre propre contexte. Répondre à une question difficile par «
permettez-moi de resituer le contexte…» ou encore « la question
importante est…» n’appartient pas à la manipulation. Vous ne faîte
que relayer et valider votre message et vos exemples ou
illustrations, ce qui est essentiel.
La raison pour laquelle je défends si ardemment le droit de mes
clients à s’expliquer avec leurs propres mots me vient de
l’expérience. Celle-ci m’a démontré à quel point, intimidés par
les médias, ils culpabilisent et n’osent exprimer leur point de
vue. C’est une erreur humaine de mettre sur le marché du salami
impropre à la consommation. Il est donc normal de se sentir
coupable dans une telle situation. Mais il est également
nécessaire de rappeler au public qu’en même temps que vous
expliquez les mesures sanitaires que vous avez prises pour limiter
les risques, 99 fois sur 100, le salami est comestible. Dans le
cas contraire vous trompez le public en lui laissant se forger une
fausse opinion sur la sécurité alimentaire du salami.
Il y aura tous ceux qui trouveront un intérêt à laisser croire
que le salami n’est pas une denrée sûre : ils ont d’autres
objectifs que de propager la vérité sur le sujet et doivent être
stoppés avec détermination. Pourquoi reculer et permettre au
public d’être trompé par des impressions, voir de la propagande ?
Les médias s’adresseront à vos contradicteurs car ils ont besoin
d’un maximum d’informations. Il est nuisible de rester en arrière
plan et de critiquer les médias pour leur manque de discernement
et il est beaucoup plus efficace de relever vos manches et d’aller
exprimer votre point de vue. Invariablement, les conséquences
seront moins graves. Franklin Roosevelt avait raison : « La seule
chose que nous devons craindre est la crainte elle-même. »
Paul Sullivan
Trois décennies dans les médias ont donné à Paul Sullivan et
Sullivan Media de solides fondements pour développer des
stratégies de communication pertinentes. Basé à Vancouver au
Canada, Sullivan Media travaille avec un large spectre de sociétés
et d’organisations à travers l’Amérique du Nord dans l’élaboration
de plans et de moyens de communication efficaces.
Paul Sullivan - President and Director of Strategy
Sullivan Media
1600--750 West Pender Street
Vancouver, BC - V6C 2T8
Office: 604-685-4742
http://www.sullivanmedia.com/
Traduit de l'anglais par Didier Heiderich.
Article publié dans le Magazine de la communication de crise et
sensible vol. 11
(c) Tous droits réservés par les auteurs
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