Vendredi 14 octobre : la confirmation vient de tomber, c’est
bien le virus H5N1 qui est présent chez les quelques volailles
trouvées mortes les jours précédents en Roumanie et en Turquie. La
grippe aviaire est arrivée aux portes de l’Europe. Médias et donc
autorités et professionnels de l’aviculture entrent en
effervescence immédiate.
Tout ce que les 25 comptent de décideurs et d’experts est
aussitôt convoqué en réunions.
En France, tandis que le premier ministre appelle
solennellement ses concitoyens à « ne pas céder du tout à la
panique », le ministère de la défense envoie dans les rédactions
une vidéo montrant dans un immense hangar l’alignement de
centaines de palettes de Tamiflu.
Les équipes de télévision se précipitent à Rungis et dans les
pharmacies pour mesurer sans tarder les débuts de « psychose ».
Et tous en chœur, les représentants des aviculteurs entonnent
le couplet dénonciation de la « surmédiatisation » du sujet.
C’est parti…
Au delà de l’image - en effet caricaturale - qu’a pu offrir
cette journée « de crise », qui ne représente en fait qu’un moment
de la crise grippe aviaire (celle ci a débuté depuis deux ans),
c’est bien sûr - et c’est là l’intérêt - toute la question de la
communication dite « de crise » sur la grippe aviaire qui se
trouve posée.
Le premier constat que l’on peut faire, à regret, c’est celui
de la large improvisation à laquelle on a pu assister ce 14
octobre dans les différentes prises de parole de responsables.
Pourquoi évoquer la panique, même en négatif, même pour dire qu’ «
il faut l’éviter », à l’heure où le premier objectif est de faire
comprendre au public l’absence de risque ? Pourquoi montrer des
stocks de Tamiflu au moment où il n’est surtout pas question
d’utiliser ce médicament ? Pourquoi s’en prendre à la
médiatisation, logique, alors que précisément cette médiatisation
permettrait de faire passer quelques messages ?
Est-ce à dire que le scénario d’une confirmation du H5N1 en
Roumanie et en Turquie (avec sa médiatisation évidente), qui était
envisageable depuis plusieurs jours, n’avait pas été anticipé,
notamment en termes de communication ? On peut le craindre.
En fait, c’est depuis plusieurs mois maintenant qu’il aurait
fallu préparer la « communication de crise » sur les événements
qui vont probablement émailler l’histoire de la grippe aviaire. Et
c’est précisément ce qu’on ne fait pas, ou bien peu, en dépit des
affirmations répétées des uns et des autres sur le fameux « rôle
majeur de la communication ».
On retrouve ici le malentendu fondamental qui entoure cette
discipline qu’est la communication de crise, encore largement
méconnue. Parler ne veut pas dire communiquer. Et communiquer en
situation de crise, cela ne s’improvise pas.
Il faut avoir travaillé par avance sur la base de scénarios
précis d’événements. A plus forte raison dans le domaine des
crises sanitaires dont on connaît fort bien les particularités et
les difficultés, souvent extrêmes, du fait des phénomènes de
distorsions dans la perception des risques, des confusions, des
peurs.
Les expériences récentes du Sida, de la vache folle et du SRAS
nous l’ont abondamment démontré : dans le domaine des grandes
peurs sanitaires, il faut vraiment beaucoup travailler pour
parvenir à communiquer efficacement.
Concernant la grippe aviaire, les experts affirment depuis
plusieurs mois qu’il y a menace d’une pandémie mondiale de grippe
humaine du même type que la grippe espagnole qui fit 20 à 50
millions de morts. Chaque semaine, tout lecteur de journal a pu
voir, mais peut-être distraitement, se succéder les estimations,
en centaines de milliers ou en millions, du nombre de victimes
possibles, quand le virus H5N1 va « s’humaniser » et se
transmettre d’homme à homme, avec une propagation très rapide.
Mais a t-il bien entendu que la contamination ne se fera pas d’ici
là en mangeant son poulet du dimanche, que ce n’est pas la vache
folle bis ?
Et surtout, il a pu voir chaque jour à la Une depuis 15 jours,
sur fond d’images de poulets abattus et brûlés par milliers, qu’au
dire des experts, la menace était inévitable, ce n’est qu’une
question de temps ; les gouvernements suivent d’ailleurs et
stockent de plus en plus de médicaments et de masques ; on les
montre aussi, en comprenant bien qu’il n’y en aura sans doute pas
pour tout le monde…
Que croit-on donc, dans ces conditions et sur un sujet aussi
complexe et plein d’incertitudes que la grippe aviaire ? Que
chacun va comprendre immédiatement le sens de chaque nouvel
événement et garder parfaitement son calme ?
Il serait absurde aujourd’hui de ne pas comprendre que, quelle
que soit l’évolution de la grippe aviaire dans les prochaines
semaines et dans les prochains mois, il y aura fatalement des
situations de crainte et de doute. Il faut s’y préparer bien
entendu en termes d’organisation, de moyens et d’actions. C’est le
sens des plans, et il faut souhaiter qu’au delà des plans
nationaux soit mis en œuvre rapidement maintenant un plan européen
avec ce que cela suppose de coordinations.
Mais il faut l’anticiper aussi, et tout aussi sérieusement, en
termes de communication de crise. Cela veut dire plusieurs choses.
Entre autres : beaucoup d’actions pédagogiques de terrain
(expliquer ce que les choses sont et ce qu’elles ne sont pas), des
réponses bien argumentées (compréhensibles par le grand public),
des relais mobilisés (professionnels de santé, enseignants, élus
locaux…), des porte-parole entraînés (à froid et en exercices de
simulations), des réactions prévues en fonction des scénarios
d’événements possibles.
Aujourd’hui, trois urgences s’imposent :
- lever plusieurs confusions qui se sont déjà installées dans
nombre d’esprits avec la masse d’images et d’informations qui
vient de déferler. Il y a confusion notamment sur les modes
actuels de transmission du virus, sur l’intérêt de la vaccination,
sur l’utilisation de médicaments antiviraux. Il faut bien
différencier la situation présente et les mesures qui sont prises
à titre d’anticipation, pour l’avenir, au cas où.
- expliquer qu’en termes de risques, il n’y a aucune fatalité à
ce que l’actuelle progression de la grippe aviaire (Turquie,
Roumanie, Grèce ?) débouche inéluctablement sur un envahissement
de l’Europe ; les exemples récents d’épisodes de grippe aviaire en
Italie (1999) et aux Pays-Bas (2003) démontrent qu’avec des
mesures appropriées, on peut parfaitement éviter la diffusion
d’une épizootie.
- et expliquer aussi qu’en cas de mutation du virus aviaire
H5N1 dans le futur, le rendant transmissible d’homme à homme, il
n’y a aucune fatalité à ce que cela débouche sur une catastrophe
planétaire ; certes les risques seront élevés, mais beaucoup
d’actions efficaces seront possibles pour limiter l’épidémie. On
l’a vu avec le SRAS.
La grippe aviaire est évidemment une crise majeure, une de ces
nouvelles crises mondiales extrêmement complexes, évolutives,
lourdes d’incertitudes et de conséquences. Elle va durer
longtemps. C’est donc une crise qu’il faut maintenant comprendre.
Jean-Michel Guillery
Magazine de la communication de crise et sensible.
www.communication-sensible.com
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