Pays de la « vieille Europe » dont l’histoire est jalonnée
d’évènements ayant souvent conduit au trouble et à la confusion,
la France est coutumière de la gestion de crise appuyée sur une
organisation étatique forte. Cependant, et nonobstant la capacité
d’information et de mobilisation des moyens d’intervention dont
dispose l’Etat, il convient de constater que la multiplication des
crises et des menaces a souvent donné une impression d’imprévision
et de fragilité des réponses apportées aux crises.
En effet, à l’occasion des crises survenues ces dernières
années (tempête de décembre 1999, inondations fin 2002 et fin
2003, enneigement en janvier 2003 bloquant l’autoroute A10 et
l’aéroport de Roissy, feux de forêts gigantesques pendant l’été
2003 et canicule), les pouvoirs publics ont été fortement
sollicités et exposés. La perception du grand public et des relais
d’opinions s’en trouve plus exacerbée. Chacun attend plus de
transparence et une réassurance quant à la prise en charge de la
crise par l’Etat, au travers de ses représentants. A l’occasion
d’une crise exceptionnelle, comme celle de la canicule de 2003, il
nous a été permis d’observer la défiance du citoyen qui constate
assez invariablement que la gouvernance « est aux abonnés absents
». Il est vrai que la posture des pouvoirs publics face à la crise
a souvent consisté à accepter les évènements comme faits accomplis
sur lesquels ils n’avaient aucune véritable capacité de
prévention. Ce n’est que très récemment que les pouvoirs publics,
et notamment l’institution gouvernementale, ont véritablement pris
conscience des enjeux liés à la gestion de crise, mais aussi et
surtout à la communication y afférente.
Forts des leçons tirées de la crise de la canicule, il
semblerait que nos dirigeants soient fer-mement résolus à ne plus
faire preuve d’un fatalisme parfois déroutant. La politique
actuelle d’anticipation et de prévention face à la menace d’une
pandémie mondiale de grippe aviaire en est d’ailleurs la parfaite
illustration. Jamais les pouvoirs publics n’ont autant com-muniqué
sur une menace potentielle. Le chef de l’Etat en personne,
profitant de la présence du directeur de l’Organisation mondiale
de la santé (OMS) à Paris, a annoncé le 31 août dernier la
mobilisation générale des pouvoirs publics contre ce fléau. Cette
communication a d’ailleurs fait l’objet de nombreuses critiques.
Certains médias ont même évoqué une volonté évidente de
dramatisation de la part de nos gouvernants. Pourtant, la menace
d’une telle pandémie ne relève pas d’une improvisation. Depuis
plusieurs mois en effet, de nombreux services gouvernementaux
travaillent sur l’émergence possible d’une crise sanitaire sans
précédent. Ainsi, un plan gouvernemental de lutte contre une
pandémie grippale a été adopté en octobre 2004. Conformément à la
demande de l’OMS, ce plan établit les différentes modalités de
préparation et d’intervention des pouvoirs publics face à une
pandémie du virus H5N1. Afin de tester la mise en œuvre du plan,
le Service d’information du gouvernement (SIG) et le Secrétariat
général de la défense nationale (SGDN) on conjointement organisé
un exercice de simulation. Celui-ci a consisté à entraîner les
différents décideurs publics à gérer une crise sanitaire majeure,
et à prendre les décisions de prévention et de protection des
populations et du territoire. En outre, le ministre de la Santé,
Xavier Bertrand, n’a de cesse de rappeler toutes les mesures
d’anticipation et de prévention prises par le gouvernement pour
protéger les français face à un tel cataclysme. Indiscutablement,
la France semble se préparer et nos dirigeants s’attachent
particulièrement à nous le faire sa-voir. Trop selon certains
médias. Ainsi, le 30 août 2005, le journal Le Monde publiait un
article reprochant au pouvoir exécutif de tenir un discours « au
ton quelque peu catastrophiste » . D’autres journaux n’ont
d’ailleurs pas hésité à dénoncer l’application d’un principe de «
sur précaution ».
Au travers de cette communication exceptionnelle relative aux
mesures d’anticipation, nous percevons un renversement inédit des
rapports de force habituels opposant le temps médiatique et le
temps politique. Généralement, l’actualité, telle que la
sélectionne les médias, impose à nos dirigeants leurs grands
thèmes de communication. En effet, dans la majorité des cas, les
journalistes restent maîtres du temps et des messages retransmis
au public. Ils im-posent au politique un diktat de l’immédiat qui
le déstabilise en le poussant à répondre trop vite. Dans le cas
présent, la stratégie de communication gouvernementale,
essentiellement basée sur la transparence et l’anticipation, n’a
pas laissé aux rumeurs et aux fantasmes le temps de se développer.
Ce besoin de transparence a d’ailleurs été largement mis en
évidence dans le cadre de l’exercice de simulation commandé par le
cabinet du premier ministre.
Parce qu’elle consiste à rassurer le citoyen et incidemment, à
capitaliser la confiance de celui-ci en amont de la crise, la
communication du pouvoir exécutif traduit un enjeu politique. En
effet, le gouvernement est conscient que la qualité de son image
auprès du public sera un paramètre déterminant de la gestion de
crise. Ainsi, la stratégie de communication relative aux mesures
d’anticipation et de prévention procède de cette volonté de
construire une image positive auprès de l’opinion publique. Il ne
fait aucun doute qu’en cas de crise avérée, quel que soit le
niveau de préparation des pouvoirs publics, le doute s’installera
dans l’opinion, les messages politiques tendront à devenir
inopérants et les interprétations malaisées. Selon Bernard Lamizet,
c’est sans doute cela qui nous fait nous rendre compte de la crise
: le langage n’y a plus de sens, nous ne pouvons plus nous servir
de notre rationalité et de notre système symbolique . Le capital
image du pouvoir exécutif sera nécessairement entamé par cette
période d’incertitude que traverseront les citoyens.
Certains doutent très certainement de la légitimité d’une telle
communication, laquelle peut être suspectée de ne servir que la
promotion de l’équipe gouvernementale en place. Cependant, nous ne
saurions adhérer à une telle remise en cause tant celle-ci nous
apparaît occulter l’enjeu social fondamental que recèle la
communication gouvernementale.
En situation de crise, « la communication joue un rôle crucial
car la relation même de l’institution avec le citoyen est en jeu.
La manifestation brutale de l’aléa, la réalisation d’une
probabilité infime, dont la menace était inconsciemment écartée ou
refoulée, et l’exigence de retrouver la normalité dans l’urgence
bouleversent le système de référence, brouille l’image externe et
met à mal l’identité et ses repères internes » . Ainsi, parmi les
principaux enjeux de la communication publique de crise, le plus
important est sans doute la relation même du citoyen avec les
institutions représentatives de « l’Etat protecteur ». Dans le
cadre de son intervention devant la commission d’enquête de
l’Assemblée Nationale sur les conséquences sanitaires et sociales
de la canicule, Patrick Lagadec soulignait d’ailleurs la dynamique
consubstantielle à la crise : le processus de déstructuration
conduisant à l’impuissance collective, la perte de confiance et de
liens. Une crise comme celle de la canicule a mis en scène la
remise en cause symbolique des institutions représentatives de l’Etat
: elle les a obligé à contempler leurs propres limites, à mesurer
leur propre impossibilité de dire, d'analyser, de comprendre et de
communiquer. Dans la mesure où chaque crise contribue assez
invariablement à accentuer une brèche faite au contrat social
liant l’Etat au citoyen, la communication gouvernementale tendant
à renforcer ce lien social en amont de la crise trouve toute sa
légitimité.
* Après plusieurs expériences au sein du groupe de
communication Image 7, Marc-Edouard Brunelet a exercé la
profession d'avocat pendant quatre ans. Après avoir intégré le
Master professionnel de communication du CELSA, il a effectué une
mission de six mois en communication de crise au Service
d'information du Gouvernement.
(c) 2005
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