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La faute à l’éléphant ?
Ou la crise comme refus du changement
Le changement est d’autant plus douloureux qu’on ne l’a pas vu
venir, ou qu’on n’a pas accepté de le considérer lorsqu’il
s’annonçait aussi certain que la charge d’un éléphant. Or, se
trouver sur la trajectoire de la course de l’éléphant, est-ce la
faute de l’éléphant ?
La meilleure façon de contrer la charge d’un éléphant furieux
est de fermer les yeux, dit avec humour un proverbe africain.
Pourvou qué ça doure, murmurait la mère d’un Napoléon au fait
de sa gloire ! Pourquoi changer quand tout est si confortable ?
Pourquoi les autres voudraient-ils leur part de gâteau,
redistribuer la richesse, se développer, croître, s’enrichir,
investir dans ce qui rapporte, croire en l’unicité de dieu,
polluer, produire des voitures et des avions, et pourquoi pas de
la haute couture et de l’énergie nucléaire ? Ah que le monde est
mal peuplé avec toutes ces exigences ! On était si bien entre soi,
nous les Occidentaux éduqués, alors seuls à vouloir et à pouvoir.
Le monde, le changement, il dépendait de nous et se comportait
bien ! Coupable amnésie, oublie-t-on que l’Age d’Or de l’Europe
n’était pas fait de tendresse mais de guerres, de tragédies, de
rapports de force et d’invasions sauvages ?
Dans la pensée stratégique chinoise, une crise résulte au mieux
d’un déficit d’adaptation en temps voulu et au pire d’une coupable
cécité stratégique, autant des dirigeants que des cités ou
organisations engoncées dans un confort d’habitudes. Si le
changement est une réalité objective, inscrite dans la vie et la
diversité, la crise résulte d’insuffisances subjectives qui se
traduisent dans des drames qui engagent la responsabilité des
managers. La différence entre crise et changement est une affaire
de temps, de rythme et de retard, d’abord dans la sensibilité,
l’analyse et la vision, ensuite dans la stratégie, l’anticipation
et l’adaptation. En voyant le monde comme une succession de
mutations où il n’est pas d’état stable, la pensée stratégique
chinoise tout comme japonaise, se concentre sur la perception des
signes présents qui préfigurent les mouvements de fond. Plutôt que
lutter contre ce qui est souvent inexorable, c’est en épousant, ou
en coïncidant avec ces tendances que l’on en tire profit et
énergie lorsqu’on en a l’intelligence, la responsabilité et le
courage. Et quoi que l’on en dise ou revendique, il est plus futé
de surfer et d’accélérer en profitant de la force de la vague
plutôt que de se ramasser des tonnes d’eau en pleine figure, en
pleine organisation ! On sait ce qu’il en reste après…
Dans la pensée stratégique chinoise, il est dit que le chef qui
partage les peines et les joies de ses sujets (ou soldats) est
invincible car il dispose de leur support déterminé . Ce véritable
pacte (républicain ?) signifie que l’intérêt collectif et à long
terme, citoyen pourrait-on dire, prime comme condition de la
survie et qu’il l’emporte par nécessité sur les intérêts
particuliers. C’est pourquoi dans l’histoire chinoise, il était
légitime de déposer l’Empereur, le Fils du Ciel, et de changer de
dynastie lorsque ce pacte entre le Ciel et la Terre, le peuple,
ses dirigeants et les conditions climatiques , n’était plus
assumé. Qu’en est-il de ces patrons se retirant gavés de
stock-options après avoir restructuré pour le profit presque
exclusif des actionnaires ? De quelle confiance, mobilisation et
adhésion leurs conseils d’administration peuvent-ils bénéficier de
la part des salariés ? L’éléphant lorsqu’il charge, finit par tout
emporter sur son passage et les de plus en plus riches ont peur de
sortir le soir, de profiter du dehors où la rage des exclus les
agresse.
Pour Sun Tzu, la stratégie est comme l’eau qui fuit les
hauteurs et remplit les creux. En conséquence, le bon stratège
veille à accumuler très en amont l’énergie qu’elle représente à
travers une multitude de ruissellements qu’il fait converger sur
les terrains appropriés. A peine comprenez-vous encore que pour
être il en soit pas nécessaire d’agir, et que le monde vous
transforme bien plus que vous ne le transformez , écrivait André
Malraux en 1926. En considérant la mutation comme la nature des
choses, les cultures stratégiques asiatiques ne s’attachent pas à
des qualités absolues, incorruptibles et à des états de faits
permanents. La perception des prémices, des signaux faibles y est
au contraire essentiel car moyen d’épouser les dynamiques en
œuvre. Plutôt que de lutter contre des évidences ou leur dénier
une légitimité, la dynamique de l’harmonie et de ce qu’elle impose
aux sujets et aux organisations en termes d’adaptation, les rend à
même de demeurer en vie et de durer. Dans la communication
interne, cela se traduit par une pédagogie fondée sur la
responsabilité partagée, la confiance réciproque et l’engagement
authentique. Il ne suffit pas de déclarer que nous sommes tous sur
le même bateau, il est prudent d’en tirer les conséquences
pratiques et de les mettre en œuvre tant l’issue est aussi
élémentaire qu’un duel : survivre (s’adapter et épouser le
changement) ou disparaître (crise et incapacité d’en sortir).
Lorsque le grondement du sol fait percevoir la charge imminente de
l’éléphant, mieux vaut ouvrir les yeux et les oreilles pour
inventer des solutions utiles pour tous.
(c) 2005
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