5
ans après le livre de Marc Drillech "Le Boycott", Caroline Fourest
propose son regard sur le boycott qui selon elle se développera sous
l'effet de la mise en réseau des ONG, de la tendance à l'engagement
individuel et du sentiment d'impuissance face aux abus de pouvoir des
multinationales. La démonstration est souvent un peu rapide ( sur les
obstacles au boycott notamment) et il est dommage de s'être privé d'une
masse de recherche universitaire sur le sujet, mais l'ensemble, même
s'il fait un peu trop enquête journalistique, est agréable à lire et
montre parfaitement la relation entre le développement durable, les
pratiques consuméristes et la communication de crise.
T.L Le boycott, nouvelle arme de la
consommation responsable ?
Entretien avec Caroline Fourest
Ces dernières années les consommateurs ont pris le pouvoir, se
substituant parfois aux citoyens pour agir contre une entreprise,
une organisation ou un pays par le boycott de ses produits. Dans
Face au Boycott (Dunod, 2005), Caroline Fourest explique comment
ce mouvement anglo-saxon a envahi le monde entier, comment les
entreprises peuvent réagir et quels sont les moyens à leur
disposition pour prévenir ce phénomène. Un ouvrage très complet
pour comprendre les racines et les évolutions du boycott, ainsi
que ses incidences sur les valeurs de l’entreprise...
Comment expliquer l’ampleur prise par les mouvements de
boycott des consommateurs ?
Le phénomène du boycott augmente du fait de l’évolution des
consciences et des nouvelles facilités de communication.
Jusqu’ici, on se rassurait en pensant qu’il s’agissait uniquement
d’un réflexe anglo-saxon. Mais la « consom-action » – le fait de
vouloir consommer de façon citoyenne et non plus seulement de
manière consumériste – ne connaît plus de frontières depuis que
l’économie et l’accès à l’information se sont mondialisés. Grâce à
l’Internet, des consommateurs sensibilisés à certaines causes
peuvent désormais partager un même mot d’ordre face à la même
marque et ceci, d’un bout à l’autre du globe. Cela se vérifie aux
États-Unis, où le boycott fait partie de la culture économique
mais aussi en Asie, où ce phénomène connaît beaucoup de succès et
même en France, où 70 % des consommateurs se disent prêts à
participer à des campagnes de boycott.
L’acte de boycott a-t-il plus de portée pour l’individu
consommateur que le vote pour le citoyen ?
Le boycott est un mode de protestation qui correspond
parfaitement aux tendances de fond de notre société :
individualiste mais solidaire. Le face-à-face Syndicat/ Patronat
fait place à un face-à-face Consom-acteurs / Multinationales. Ceux
que j’appelle « Consom-acteurs », ce sont ces citoyens qui
utilisent leur pouvoir d’achat comme l’ultime arme citoyenne pour
compenser leur impuissance en tant qu’électeurs. Les
multinationales sont en expansion. Or elles sont, par définition,
moins astreintes au contre-pouvoir du politique et des élus d’un
pays, donc aussi à celui de leurs électeurs. En l’absence de vote
efficace, les citoyens utilisent alors leur seul autre moyen
d’exercer un contre-pouvoir : le chantage au non-achat. Le boycott
est une arme capitaliste par excellence, et il n’a pas
nécessairement besoin de rencontrer un immense succès populaire
pour être efficace.
Comment l’arme contestataire du boycott est-elle perçue par
les forces syndicales ?
Par essence, les syndicats ont toujours logiquement méprisé le
boycott comme mode d’action. Habitués à négocier par le biais d’un
bras de fer interne, ils assimilent le boycott à une arme «
démagogique » qui met en péril les ventes et fragilise donc encore
davantage leur position. De ce point de vue, ils sont
effectivement dépassés par une nouvelle génération d’activistes,
partie prenante du mouvement altermondialiste, pour qui le boycott
est au contraire un moyen idéal pour faire pression sur les
multinationales. Ce dépassement d’une culture militante par une
autre a été particulièrement flagrant au moment de l’affaire
Danone.
Y a-t-il des entreprises plus exposées au boycott que
d’autres ?
Les cibles idéales des actions de boycott sont les
multinationales en situation de position dominante. Il faut de
plus qu’elles disposent d’une marque connue du grand public de
plusieurs pays et d’un produit facilement substituable par un
produit concurrent.
Sur quoi doit reposer l’efficacité opérationnelle du boycott
?
Les participants aux actions de boycott peuvent être des
groupes de toute petite taille dès lors qu’ils savent choisir leur
cible, faire preuve d’ingéniosité visuelle et se servir des
nouveaux moyens de communication.
Quelle influence le boycott des consommateurs peut-il avoir
sur l’évolution de la politique des entreprises ?
Le boycott est un phénomène que les entreprises ne peuvent
ignorer, sous peine d’en être pénalisées. C’est la loi de l’offre
et de la demande. Comment ignorer un collectif de citoyens qui
vous interpelle par le biais de la demande ? Un appel au boycott a
beaucoup plus d’impact qu’on ne le croit. Il peut être la goutte
d’eau qui va définitivement déstabiliser un marché s’il est déjà
en difficulté. On en a un exemple récent avec les vins français.
Leur crise n’est pas due en soi à l’appel au boycott lancé aux
États-Unis, par représailles vis-à-vis de la position française en
Irak. Mais ces appels ont eu incontestablement un impact puisque
certaines coopératives ont tout simplement cessé d’exporter
certaines bouteilles aux États-Unis et qu’un noyau dur de 10 % de
consommateurs américains disent qu’ils n’achèteront plus de vin
français. Lorsque vous êtes en situation délicate pour d’autres
raisons, comme la compétitivité et la qualité croissante d’autres
pays dans ce domaine, c’est un facteur très fragilisant. En outre,
le boycott n’a pas seulement un impact en termes de consommation,
il a surtout un impact en termes d’image. Les appels au boycott
restent sur l’Internet pendant des années, s’accompagnent de
détournement de logos, attirent les rumeurs, au point d’entamer
l’image de marque et d’être un facteur de crise. Le phénomène du
boycott est non seulement appelé à faire évoluer la communication
corporate mais aussi les pratiques éthiques, environnementales et
sociales des entreprises. Pour l’entreprise en situation de
boycott, rien en effet n’est pire que le mépris ou le déni. Une
bonne réaction commence par prendre en compte à sa juste mesure le
mode d’interpellation constitué par le boycott. Cela demande à la
fois une bonne connaissance du tissu associatif et du
fonctionnement médiatique, mais surtout un vrai changement de
culture au niveau de la communication des entreprises françaises.
À qui destinez-vous plus spécifiquement votre livre ?
J’ai conçu ce livre comme un outil pouvant s’adresser aussi
bien aux consommateurs qu’aux entreprises et aux spécialistes de
la communication. Car le boycott est à la fois un phénomène de
société, le symptôme d’un changement du mode de consommation et
l’un des enjeux majeurs de la communication de crise des années à
venir.
© DUNOD EDITEUR, 2 Mars 2005
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