Avec une plainte associée à la parution de l’ouvrage "L'Oréal a
pris ma maison" par Monica Waitzfelder chez Hachette, la société
de cosmétiques voit surgir les fantômes du passé.
L’affaire. Une fille de déportés juifs Allemands reproche à
L'Oréal d'avoir profité, à Karlsruhe, d'un terrain dont sa famille
a été spoliée en 1938. Ce terrain acquis par la société en 1954
accueille aujourd’hui le siège allemand de l’Oréal. Selon la
plaignante, le groupe ne pouvait ignorer qu’il s’agissait d’un
bien ayant appartenu à des juifs spoliés. Cette affaire contestée
juridiquement par l’Oréal ne restera pas lettre morte et sera
jugée. La parution du livre "L'Oréal a pris ma maison" fait
l’objet d’une pression médiatique qui dépasse nos frontières à
l’image du Guardian qui titrait le 13 Octobre « L'Oréal profited
from victims of Nazis, court told ». Bizarrement, en Allemagne, on
semble peu s’émouvoir de cette affaire.
Ligne de défense. Pour l’instant l’Oréal ne semble réagir que
sur le terrain juridique et laisse ses avocats s’exprimer de façon
sibylline sur l’affaire « Monica Waitzfelder » qui pourrait
s’avérer délicate.
Cette crise présente un intérêt certain. Elle démontre que de
faits anciens, aux liens diffus mais contractuels, liés à des
politiques d’acquisition, peuvent ressurgir bien des années plus
tard, brutalement et provoquer une crise. L’Oréal a déjà connu des
problèmes dans le passé avec l’acquisition d'Helena Rubinstein
(1).
Face à cette polémique, l’Oréal conteste juridiquement les
faits et sa stratégie de gestion de la crise est pour l’instant
sans faute : éviter d’alimenter la crise par une communication
ostensible et avancer des arguments juridiques en décalage avec le
fond du problème, à savoir la spoliation. Cette stratégie du
déplacement du lieu du débat est efficace. D’abord, elle dissocie
les entités juridiques en avançant l’argument de l’achat « Ce
n’est pas l’Oréal qui a spolié. ». Ensuite, le groupe déplace le
curseur du temps sur 1954, soit des événements largement
postérieurs à 1938, ce qui permet d’éviter une polémique centrée
sur cette période inique. Avec cette stratégie, le groupe évite de
créer un débat sur la spoliation des biens des juifs dont l’œil du
cyclone serait l’Oréal. Cette stratégie a déjà été utilisée dans
le passé par IBM (2), toutes choses égales par ailleurs.
D’un point de vue éthique, l’affaire est forcément
inesthétique, à contre courant des valeurs véhiculées par le
groupe depuis des années. Cosmétique de la crise oblige, l’Oréal
utilise son savoir-faire pour gommer les aspérités de cette
affaire et éviter les amalgames. Cependant, le risque de dérapage
reste présent et le moindre faux pas, le mot de trop ou simplement
une condamnation pourra servir de révélateur et de catalyseur de
la crise. L’Oréal se verrait alors contraint à changer de posture,
sans bien entendu, modifier sa ligne de défense au risque de
perdre la cohérence et donc l’efficacité de sa communication de
crise.
A lire sur le sujet :
« Une famille spoliée d'une maison en 1938 traduit L'Oréal en
justice », Le Monde du 13/10/04
“L'Oréal profited from victims of Nazis, court told”, The
Guardian, 13/10/04
« Spoliation : l'affaire L'Oréal sera jugée », Le Nouvel Obs,
13/10/04
(1) Livre « L'histoire sans fard », Bar-Zohar
(2) Livre « IBM et l'Holocauste », Edwin Black
|