Cet article expose en quoi une réponse à la crise par la force est
inefficace : le système sera toujours plus massif que la réaction
dans l’urgence. Aussi, la réponse adéquate à une situation de
crise est de se tourner vers davantage de souplesse. Plusieurs
éléments, puisés d’observations de situations de crise, illustrent
ce revirement stratégique d’abandonner les principes de
Clausewitz.
De même, au cours des inondations dans le Sud-Est de la France,
pendant le relais des forces de secours, une digue s’est
effondrée. Mettre en place un point de secours à cet endroit-là
devient dangereux ; en effet, les secours ne seront-ils pas
conduits à quitter les lieux dans l’urgence si la digue de
substitution s’effondrait elle aussi ? Au cours d’exercices, le
fait de refuser de diffuser de l’information parce qu’elle est
jugée trop sensible par les émetteurs est la meilleure manière de
s’attirer les regards de curieux qui, si elle avait été diffusée,
s’en seraient rapidement désintéressés.
En effet, le fait de rompre l’équilibre d’un système dont la
régulation a été momentanément interrompue ne fait que renforcer
les effets négatifs de la crise (panique des observateurs, ruine
du système) et retarde d’autant la reconstruction que le temps est
court entre le début de l’événement et la rupture provoquée.
Un cas d’école en ce domaine, est la crise de Tours, au cours
de laquelle l’alimentation en eau potable par voie d’eau minérale
transportée depuis Paris s’est avéré délicate car la taille des
robinets n’est pas adaptée au modèle de camion qui transporte
l’eau. Arrêter l’alimentation par ce biais est une solution
tentante mais imaginons la panique des locaux soumis à une
interruption totale de l’alimentation en eau.
Ce type de dysfonctionnement concerne fréquemment des éléments
vitaux : eau (alimentation en eau potable), terre (déplacements de
populations), air (toxique dans l’air : comment savoir si ce que
l’on respire n’est pas nocif ?).
Au plan collectif, les mêmes paramètres entrent en ligne de
compte. Les groupes sont touchés dans leurs centres vitaux : image
de marque d’un groupe (ses valeurs) ou produits défectueux (sa
valeur).
La rupture est de toute évidence une tentation parce que faire
cesser la souffrance, qu’elle soit individuelle ou collective, en
est le résultat primal : effectivement, parce que le système
s’effondre, les frottements dus à sa continuelle évolution
disparaissent du même coup.
Mais soyons certains que d’autres névroses réapparaîtront
inexorablement avec un nouvel édifice.
En situation de crise, la nécessité à garder le cap et à ne pas
bouleverser le système, même s’il est temporairement défaillant,
sont encore plus vraies qu`en situation normale.
En effet, par référence à la théorie du Chaos, la plus petite
perturbation dans l’Existant a des effets exponentiels sur le
système. Toute erreur de diagnostic sera ainsi très grave :
corriger le trait d’une évolution qui n’était pas, au fond,
pathologique, revient à favoriser proportionnellement d’autres
points qui peut-être le sont effectivement. C’est donc multiplier
au moins par deux les conséquences néfastes de notre erreur
insignifiante. De là découle toute l’importance à appliquer les
objectifs qui ont été fixés au titre de la planification
stratégique en cas de crise, tout en ayant à l’esprit qu’ils ne
donneront des résultats visibles qu’au-delà d’un laps de temps T.
La suite est affaire de Foi. Capitaliser à 100% sur les options
retenues lors de la planification stratégique faîte dans l’urgence
est un acte raisonné qui permet d`éviter de casser davantage le
système déjà meurtri du fait de décisions prises un peu trop
spontanément. De plus, elle offre l’avantage, de par sa relative
simplicité, de ne pas saturer celui-ci d’informations liées à des
décisions pléthoriques. Le groupe social en crise aura
l’incomparable avantage concurrentiel de savoir définir, à chaque
étape, les éléments qui composent la situation qu’il vit et
pourra, en capitalisant sur la planification stratégique, même
erronée, s’appuyer sur des bribes de prévision. La maîtrise du
système re-commencera alors même que le groupe est encore en plein
déluge. Malheureusement, les géants de l’industrie la plus
complexe du monde n’ont pas toujours saisi la complexité de
l’univers dans lequel leurs équipes évoluent et, dans un exercice
de crise, les décisions sont réajustées au fil de la crise. On
pensait en effet, il y a une vingtaine d’années, sous l’égide des
premières re-cherches sur la gestion des risques, que l’adaptation
était un élément primordial à la construction de toute décision
efficiente en cas de crise.
On ne s’est pas posé originellement la question de la réalité
humaine qui enveloppait toute prise de décision : l’homme
suivrait, on était au moins sûr de cela.
Mais l’état actuel des re-cherches sur le sujet nous montre que
la cognition humaine n’est pas une machine parfaite. Pour
illustrer cela, résultat de récentes recherches en économie, la
rationalité relative a pris le pas sur la rationalité absolue
–suivant en cela d’un siècle des découvertes similaires en
sciences physiques, quand Einstein a détrôné Newton.
Plus exactement, même si la cognition humaine est une
horlogerie fine, beaucoup d’autres paramètres interviennent dans
la prise de décision et font qu’elle est rarement totalement -à
priori et sans réaménagements- adaptée aux besoins du système
technique mais au contraire éminemment contextuelle. Même quand
celle-ci n’est pas contextuelle, nos connaissances sur la
cognition humaine ne permettent pas de la décrire comme étant sans
faille.
Il paraît donc idéaliste d’espérer que l’adaptation fera le
nécessaire pour que les décisions humaines prises et appliquées en
temps réel après la survenance de crises soient efficientes. Par
contraste, un ensemble de décisions établies dès le début de la
crise et auxquelles le comité directeur de sortie de crise décide
d’accorder un certain caractère pérenne, appliqué -sans en
démordre- à chaque étape importante de la vie de la crise, fera
basculer la maîtrise de la situation, non du côté du fil des
évènements, mais dans la main de ceux qui auront à en découdre
avec ceux-ci.
Ainsi, les exercices de crises industrielles devraient-ils muer
progressivement en des séances de travail aux conditions
d’exercice normalisées : l’essentiel de l’effort ayant été fourni
par le planificateur- l’organisateur de la sortie de crise.
Au total, les schémas d’intervention en cas de crise se
transformeront en des systèmes où la base –l’intervention terrain-
et les très hauts niveaux de décision (Préfet - dirigeants
d’entreprise et leurs conseillers - Chefs d’états) seront
sollicités bien plus que les niveaux intermédiaires d’intervention
/ décision.
La crise n’est pas encore le terrain où la démocratie s’exerce
pleinement.
Mais toutes les bonnes volontés sont appelées à la considérer
comme un terrain d’expérimentation possible à de nouvelles formes
de prises de décision collectives : moins centrées sur le respect
d’une norme, ludiques, bouleversant les hiérarchies, mettant la
dimension profonde de l’homme en valeur.
Ce n’est dès lors plus de démocratie qu’il s’agit mais aussi de
développer le potentiel individuel. Enfin, on commencera alors par
définir les forces en présence avant de définir le système
collectif le mieux adapté pour réguler les relations
interindividuelles sans douleur. On se donne le temps de réfléchir
ainsi. Et, depuis le 11/09, depuis l’accident AZF à Toulouse, et,
plus largement, depuis les désastres industriels passées de
Bhopal, de Tchernobyl et plus anciennement de Seveso, on a des
terrains dont l’observation permet à chaque homme et femme que
nous sommes de se gaver d’émotions pour fixer la perception du
système social qu’il souhaite contribuer à alimenter.
A nous, experts et décideurs de donner aux citoyens la
possibilité de vivre effectivement ce système là.
* Catherine Bodeau-Péan Ostermann
Travaux sur le risque référencés aux Presses Universitaires de
France (revue "Philosophie et Politique")
Site Web:
http://membres.lycos.fr/bodeau/
Catherine.bodeau-pean@wanadoo.fr
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