En
1990 dans « L’argent fou », Alain Minc nous déclarait son amour du
capitalisme. « Je crois à l’économie de marché. Il n’en existe pas
d’autre : après un siècle de tâtonnement et d’échecs souvent
dramatiques, l’évidence triomphe de Budapest à Paris, de Varsovie
à Tokyo, de Moscou à New York ». 14 ans plus tard, nous pouvons
ajouter, de Bombay à Shanghai.
Entre l’Inde et la Chine, plus de deux milliards d’habitants
rejoignent progressivement, lentement mais assurément le concert
des nations « développées ». Sur certaines zones géographiques,
Shanghai et Bombay, cette boulimie capitaliste étonne la vieille
Europe et la vieille Amérique par son dynamisme et son absence de
retenue. Cette nouvelle donne du capitalisme international,
marquée par l’entrée de la Chine dans l’OMC, est frappée du sceau
de la crise. Crise des matières premières, inquiétudes sur les
réserves pétrolières mondiales, risques épidémiques avec le SRAS
et la grippe du poulet, risque de non retour sur l’état écologique
de la planète, destruction d’emplois aux USA malgré une croissance
soutenue : les coupables désignés par les experts est la Chine et
dans une moindre mesure l’Inde. La planète peut-elle soutenir le
capitalisme exacerbé fondé sur la croissance sans risque majeur ?
La question est absurde, tant la réponse est évidente : non.
Cependant, la remise en cause de notre modèle écono-mique est
d’autant plus difficile et cruciale qu’aucune proposition globale
et acceptable par les états et les populations ne semble émerger.
Les ressources de la planète sont limitées. Or dans ce système de
vases communicants la logique économique est imparable. Entre la
population européenne vieillissante et l’incroyable foisonnement
de la Chine, la capacité d’innovation des étudiants Indiens et la
diminution des crédits de la recherche en Europe, le flux
capitalistique s’écoulera naturellement vers les « pays continents
» émergeants. Ce flux concerne la création d’emplois et de
richesses, l’utilisation des ressources disponibles, la capacité
de création et l’économie numérique. La Chine inquiète par sa
capacité de production de biens matériels consommatrice d’énergie
et d’acier (même si on oublie que la Chine a envoyé un homme dans
l’espace). L’Inde se spécialise dans la production de matière
grise, mirage d’une croissance soutenable fondée sur l’économie
numérique. Certes, en terme de ressources naturelles, l’économie
numérique et du divertissement est moins consommatrice directe de
matières premières, mais elle sera forcément à l’origine de la
montée des besoins matériels des pays émergeants. En effet, s’il
est possible de produire à bas prix des biens matériels en
limitant la hausse des revenus, l’économie numérique est fondée
sur le réseau, donc sur la mixité directe des rapports sociaux.
Déjà les informaticiens Indiens, en contact avec l’extérieur,
revendiquent une hausse substantielle de leur pouvoir d’achat de
biens de consommation sans toutefois espérer atteindre les niveaux
européens de salaires. Cet ensemble laisse présager une explosion
de la demande en nourriture, en matière première, de même que
l’augmentation de la pollution et des risques inhérents.
Or la pauvreté d’une franche importante de la population de ces
pays, la forte présence de la misère aux portes des complexes
ultramodernes constituera pour les cadres de ces pays la
principale angoisse et préoccupation. Lorsque les risques globaux
dépassent la capacité de représentation des nantis de la planète,
ils ne peuvent frapper l’imagination des populations pauvres à qui
l’espoir d’un avenir meilleur consiste, par nature, dans la
capacité à consommer, même peu. Il y a, de ce point de vue, du
cynisme lorsque les USA, premiers consommateurs de ressources
naturelles au monde, refusent les protocoles de Kyoto alors que
l’Europe demande aux pays pauvres de le respecter ! C’est aussi un
aveu d’impuissance de la part de l’UE qui ne veut pas prendre ses
responsabilités face à son premier client : faute d’être fort, il
serait nécessaire pour l’Europe d’être conséquent. Sur le plan
économique, le monde fonctionne encore selon une mécanique de
transfert des risques des riches vers les pauvres. Cependant,
cette logique atteint ses limites lorsque l’avenir de la planète
est compromis dans le même temps que la terre se prépare à
accueillir 10 milliards d’humains alors que les ressources
s’épuisent. Les organismes de régulations comme l’OMC
(Organisation Mondiale du Commerce) se retrouvent en difficultés
lorsque les pays pauvres s’allient pour refuser cette logique de
transfert des risques. Ils se trouvent également en difficulté
lorsqu’ils affrontent directement le marché et les entreprises
soumises au dictat des résultats trimestriels. Dans le même temps,
le FMI (Fond Monétaire International) est à l’origine d’erreurs
monumentales, voir graves pour les populations, notamment lorsque
qu’il encourageait la construction de centres d’affaires restés
vides dans des pays qui avaient besoin de construire préalablement
des infrastructures dédiées à l’éducation, comme en Indonésie. La
Chine est soumise à cette péréquation et ce n’est pas un hasard si
ce sont exclusivement des zones, certes impressionnantes, qui sont
offertes à l’édification de temples du capitalisme : un pays
continent, quelles que soient ses ressources et sa volonté, ne
peut réaliser des infrastruc-tures globales à la hauteur des
attentes et des phantasmes du capitalisme. Nous allons, une fois
de plus assister à des transferts massifs de population vers les
zones fortement urbanisées avec son lot d’échecs sociaux,
d’existences fantomatiques. Des millions de personnes vont naître,
survivre et mourir dans des bidonvilles à la périphérie de
l’économie de marché.
Il y a encore peu, au début de ce siècle, l’occident restait
cependant un modèle en matière de démocratie et de justice.
Quelques images, inqualifiables, comme celle d’une femme de
l’armée US tenant en laisse un prisonnier irakien, font voler en
éclat bien plus que la réputation des Etats-Unis : elles
ternissent pour longtemps le modèle démocratique. Le monde Arabe
en est, à juste titre, bouleversé. Les extrémistes auront beau jeu
d’entretenir un climat de haine envers les Etats-Unis, mais aussi
envers l’Europe qu’ils décrivent comme inféodé à la toute
puissance du démon US. Comment en vouloir à des populations
appauvries de tomber dans le piège de la haine alors que la guerre
en Irak ressemble, d’un point de vue médiatique, à une guerre de
religion ? La théorie des dominos risque de fonctionner dans le
monde Arabe, mais dans le sens inverse de celui attendu par les
stratèges de la maison blanche.
La Chine est au cœur des préoccupations économiques sous fond
de pénurie de matières premières. Le capitalisme lorsqu’il est
l’allié à la démocratie possède intrinsèquement une extraordinaire
force de création et de mouvement. Mais l’autorégulation fondée
sur l’argent fou trouve aujourd’hui ses limites, y compris dans la
mécanique de transfert des risques dans un monde global,
socialement, économiquement et écologiquement. Pourtant le
capitalisme contient dans ses gènes un puissant moyen d’éviter les
catastrophes : le contrat. L’adhésion de la Chine à l’OMC est de
ce point de vue une bonne nouvelle, car elle signifie
l’acceptation des règles et du contrat. Il serait cependant utile
que l’OMC écarte préalablement les démons de l’argent fou et au
premier chef de la corruption. Puisse le Dragon nous en protéger.
DH, Avril 2004.
L'adhésion de la Chine à l'OMC: de différents discours tenus
dans le monde chinois, un mémoire de Pierre Hagmann.
http://www.sinoptic.ch/publications/hagmann/etat.htm
La Chine, puissance technologique : mythes et réalités,
synthèse de Michal Mei Dan d'après une traduction de Lili Dutrey.
Document de l'IFRI
http://www.ifri.org/files/centre_asie/NDC_14_economie_texte_7.pdf
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