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Internet et crise : 2003, la normalisation

Par Didier Heiderich *, Janvier 2004

Avec 2003, Internet s’est normalisé. Pour tous les spécialistes, le réseau des réseaux est entré dans le champ de la communication de crise, lorsqu’il n’est pas à l’origine de nouvelles formes de crises. Les exemples du passé sont aujourd’hui présents dans la mémoire collective des communicants : appel au boycott de Danone, attaque de la société Belvédère par son concurrent américain, réponse en ligne de Buffalo Grill face à la crise qui a frappé le groupe fin 2002.

C’est donc naturellement que l’on peut constater que l’année 2003 est fortement marquée par l’utilisation d’internet dans les relations publiques, avec pour substrat les tensions internationales : conflit en Irak, montée des fondamentalismes, guérilla menée dans le cyberespace par les activistes, mais aussi appropriation du développement durable et du champ de l’éthique par les entreprises et les institutions. Cette bataille communicationnelle a connu ses avatars sur Internet alors que la frontière entre espace et cyberespace s’estompe progressivement pour devenir de plus en plus perméable. Depuis 2003, il n’y a plus de crise sans examen journalistique des failles de la communication Internet de l’entreprise incriminée. Il n’y a plus d’actualité importante qui ne trouve internet comme primo vecteur de communication. C’est également en 2003 que Lord Hutton, ce magistrat Anglais chargé de l’affaire Kelly, a utilisé le net comme support de communication judiciaire. C’est encore en 2003, que les Etats-Unis ont prolongé la guerre de l’opinion sur Internet, en fournissant à tous, la possibilité de télécharger des rapports très officiels sur les armes de destruction massive. Enfin, en 2003, les activistes n’ont jamais été aussi présents sur Internet, menant à leur terme des campagnes parfaitement orchestrées, à l’exemple des anti-OGM.

Mais les entreprises, sous l’effet de sidération, restent bien souvent muettes sur le Web dans les heures qui suivent le déclenchement d’une crise. En cela, nous pouvons regretter la faible mobilisation, non pas des consultants qui ont multiplié les offres destinées à faire face aux cybercrises, ni des responsables communication qui ne montrent plus de réticence à utiliser Internet, mais des dirigeants des entreprises qui sous-estiment encore trop le rôle du réseau en situation de crise. Il existe cependant des disparités, et certaines entreprises, à l’image de Mac Donald aux Etats-Unis confronté à la crise de la vache folle, savent utiliser rapidement leur site Web en situation de crise.

Plus que dans les crises aigues, c’est dans les processus longs que les relations publiques de crise ont trouvé un allier avec Internet. A la fois, support de communication de crise et outil de lobbying, les sites Web institutionnels spécifiques se font jour, à l’image de l’espace créé sur le site Web de Total en réponse aux accusations dont fait l’objet le groupe sur ses pratiques passées en Birmanie, ou encore du lobbying mené par les laboratoires Boiron face au déremboursement de l’homéopathie en France. Mais la plupart des actions en ligne destinées à modifier la perception du public restent fondées sur les modèles simplistes qui considèrent l’internaute comme un individu esseulé devant son ordinateur. Or la force du réseau réside dans son intelligence globale : c’est ainsi que les faux forums, les infiltrations de groupes de discussion, les sites Web de lobbying, devenus des pratiques courantes qui peuvent effectivement modifier la perception de quelques individus, sont rapidement dénoncés par le réseau.

Mais ce qui est difficile en matière de changement et d’évolution des mentalités devient aisé à réaliser lorsqu’il s’agit de faire circuler une fausse information simple à interpréter. Dans ce cas, la désinformation peut très rapidement circuler sur Internet, contaminer la sphère réelle, être reprise par la presse, devenir « un fait » et en final déstabiliser une entreprise ou une institution. Le risque n’a jamais été aussi grand et continue à croître en même temps que l’appropriation du réseau par un public de moins en moins averti.

Si nous devons retenir une chose de l’année qui vient de s’écouler, c’est la multiplication des opérations de relations publiques sur Internet, avouées ou inavouées. Mais nous sommes toujours dans une période charnière durant laquelle les activistes continuent à régner en maître sur le réseau alors même que les entreprises éprouvent encore des difficultés à utiliser le Web en situation de crise. L’émergence des e-RP laisse toutefois entrevoir une évolution vers plus de professionnalisme dans la communication de crise sur le Web. Il semble évident que l’année à venir connaîtra une montée en puissance de la guerre de l’opinion sur Internet. Mais alors même que les technologies mobiles prennent leur envol, nous pouvons imaginer qu’une fois de plus les usages viendront distancer les modèles de la communication sensible et de crise sur Internet, ce qui laisse de beaux jours aux analystes…

* Didier Heiderich est l’auteur de « Rumeur sur internet. Comprendre, anticiper et gérer les cybercrises », à paraître aux éditions Village Mondial, fin avril 2004.

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