Avec 2003, Internet s’est normalisé. Pour
tous les spécialistes, le réseau des réseaux est entré dans le
champ de la communication de crise, lorsqu’il n’est pas à
l’origine de nouvelles formes de crises. Les exemples du passé
sont aujourd’hui présents dans la mémoire collective des
communicants : appel au boycott de Danone, attaque de la société
Belvédère par son concurrent américain, réponse en ligne de
Buffalo Grill face à la crise qui a frappé le groupe fin 2002.
C’est donc naturellement que l’on peut
constater que l’année 2003 est fortement marquée par l’utilisation
d’internet dans les relations publiques, avec pour substrat les
tensions internationales : conflit en Irak, montée des
fondamentalismes, guérilla menée dans le cyberespace par les
activistes, mais aussi appropriation du développement durable et
du champ de l’éthique par les entreprises et les institutions.
Cette bataille communicationnelle a connu ses avatars sur Internet
alors que la frontière entre espace et cyberespace s’estompe
progressivement pour devenir de plus en plus perméable. Depuis
2003, il n’y a plus de crise sans examen journalistique des
failles de la communication Internet de l’entreprise incriminée.
Il n’y a plus d’actualité importante qui ne trouve internet comme
primo vecteur de communication. C’est également en 2003 que Lord
Hutton, ce magistrat Anglais chargé de l’affaire Kelly, a utilisé
le net comme support de communication judiciaire. C’est encore en
2003, que les Etats-Unis ont prolongé la guerre de l’opinion sur
Internet, en fournissant à tous, la possibilité de télécharger des
rapports très officiels sur les armes de destruction massive.
Enfin, en 2003, les activistes n’ont jamais été aussi présents sur
Internet, menant à leur terme des campagnes parfaitement
orchestrées, à l’exemple des anti-OGM.
Mais les entreprises, sous l’effet de sidération, restent bien
souvent muettes sur le Web dans les heures qui suivent le
déclenchement d’une crise. En cela, nous pouvons regretter la
faible mobilisation, non pas des consultants qui ont multiplié les
offres destinées à faire face aux cybercrises, ni des responsables
communication qui ne montrent plus de réticence à utiliser
Internet, mais des dirigeants des entreprises qui sous-estiment
encore trop le rôle du réseau en situation de crise. Il existe
cependant des disparités, et certaines entreprises, à l’image de
Mac Donald aux Etats-Unis confronté à la crise de la vache folle,
savent utiliser rapidement leur site Web en situation de crise.
Plus que dans les crises aigues, c’est dans les
processus longs que les relations publiques de crise ont trouvé un
allier avec Internet. A la fois, support de communication de crise
et outil de lobbying, les sites Web institutionnels spécifiques se
font jour, à l’image de l’espace créé sur le site Web de Total en
réponse aux accusations dont fait l’objet le groupe sur ses
pratiques passées en Birmanie, ou encore du lobbying mené par les
laboratoires Boiron face au déremboursement de l’homéopathie en
France. Mais la plupart des actions en ligne destinées à modifier
la perception du public restent fondées sur les modèles simplistes
qui considèrent l’internaute comme un individu esseulé devant son
ordinateur. Or la force du réseau réside dans son intelligence
globale : c’est ainsi que les faux forums, les infiltrations de
groupes de discussion, les sites Web de lobbying, devenus des
pratiques courantes qui peuvent effectivement modifier la
perception de quelques individus, sont rapidement dénoncés par le
réseau.
Mais ce qui est difficile en matière de
changement et d’évolution des mentalités devient aisé à réaliser
lorsqu’il s’agit de faire circuler une fausse information simple à
interpréter. Dans ce cas, la désinformation peut très rapidement
circuler sur Internet, contaminer la sphère réelle, être reprise
par la presse, devenir « un fait » et en final déstabiliser une
entreprise ou une institution. Le risque n’a jamais été aussi
grand et continue à croître en même temps que l’appropriation du
réseau par un public de moins en moins averti.
Si nous devons retenir une chose de l’année qui
vient de s’écouler, c’est la multiplication des opérations de
relations publiques sur Internet, avouées ou inavouées. Mais nous
sommes toujours dans une période charnière durant laquelle les
activistes continuent à régner en maître sur le réseau alors même
que les entreprises éprouvent encore des difficultés à utiliser le
Web en situation de crise. L’émergence des e-RP laisse toutefois
entrevoir une évolution vers plus de professionnalisme dans la
communication de crise sur le Web. Il semble évident que l’année à
venir connaîtra une montée en puissance de la guerre de l’opinion
sur Internet. Mais alors même que les technologies mobiles
prennent leur envol, nous pouvons imaginer qu’une fois de plus les
usages viendront distancer les modèles de la communication
sensible et de crise sur Internet, ce qui laisse de beaux jours
aux analystes…
* Didier Heiderich est l’auteur de « Rumeur sur internet.
Comprendre, anticiper et gérer les cybercrises », à paraître aux
éditions Village Mondial, fin avril 2004.
Pour être informé de la parution du livre :
www.communication-sensible.com/cybercrises
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