Les éléments permettant de calculer le coût
de la prévention d’un accident technologique majeur ne sont pas
connus : il est dès lors difficile de s’engager dans une démarche
volontariste de prévention des risques, car peu de travaux font
état du coût comparatif entre la mise en œuvre dès la construction
de l’installation de modes de prévention efficaces de risques à
venir, et du coût de la mise en œuvre de systèmes d’urgence
déclenchés en cas de survenance d’un accident.
En particulier, le coût d’un accident nucléaire
est très difficile à apprécier. C’est pourtant une préoccupation
importante de tout citoyen français que d’en avoir une vague idée,
la France étant en effet le pays au monde qui a axé son
indépendance énergétique sur la construction de centrales. Avec 57
installations nucléaires de base sur son sol, et à l’aube du
renouvellement de tranches existantes en de nouvelles
installations, il est primordial que l’état connaisse le coût de
mise en place de modes de prévention pertinents, afin que la
décision ultime de construire et celle tendant à définir quels
types d’infrastructures seront construites soit prise en
connaissant les investissements nécessaires pour assurer la
sécurité des citoyens. Cependant, il est difficile, pour des
motifs de nature variée, d’obtenir l’information pertinente pour
avoir ne serait-ce qu’une idée de proportions dont on parle ici.
Aussi, et parce que le secteur pétrolier est plus transparent
en matière de grands risques encourus du fait de l’installation et
des risques touchant celle-ci le calcul suivant, même si le but
ultime est de découvrir des proportions applicables au programme
nucléaire, a été réalisé sur un accident pétrolier. Le plus proche
sémantiquement d’un accident d’installation nucléaire de base
étant un accident pétrolier terrestre, par exemple un incendie
rendant un oléoduc indisponible, celui-ci a été retenu.
Nous avons choisi de vous dérouler notre
calcul, sans disserter sur le choix des éléments qui y ont été
évalués, lequel pourrait faire l’objet d’une autre publication. Le
présent calcul a été établi sur un oléoduc sur une période de 12
ans. L’hypothèse d’un accident seulement pendant cette période-là
a été retenue.
1.Coûts de gestion ex-post.
Le premier coût est celui de la dégradation sur le matériel
lourd, c’est à dire les dégâts physiques sur l’oléoduc (dégâts
d’infrastructure). Celles-ci sont estimées à 30% du prix
d’acquisition du matériel. Or, le prix de l’infrastructure d’un
pipe-line est d’approximativement 90 000 USD. En effet, on peut
estimer qu’au-delà de 30% de volume de matériel détruit, les
pompiers auront maîtrisé l’incendie.
30%*90 000=3 000 USD.
Le second type de dommages est le coût du
pétrole perdu dans l’incendie, soit 20% du volume de pétrole
transporté dans l’oléoduc. La perte pour l’exploitant est une
fonction du prix d’acquisition du pétrole. Le prix du baril est
estimé à 25 USD par baril dans les prochaines années (« La Nature
et les risques », édition Odile Jacob, 2002) mais nous retiendrons
un prix de 10 USD par unité de pétrole transporté (coût du
conditionnement soustrait). On évalue un volume de ventes
d’environ 80 000 unités par an soit un total, pour un prix
d’acquisition ramené à 10 USD par unité, de 800 000 USD par an.
20% de ce montant est égal à 40 000 USD.
Le troisième dégât imputable à l’accident
repose sur la masse salariale. Une partie de celle-ci sera en
effet affectée à la gestion de l’accident. Artificiellement,
celle-ci est comparable au coût de la sous-traitance, soit
l’intervention d’un consultant pendant 10 jours à 400 USD l’un.
La masse salariale affectée à l’accident est de 4 000 USD.
Le quatrième type de recours nécessaire pour
gérer ex-post les dégâts d’un accident sur un oléoduc est celui,
pour un accident touchant un point névralgique de l’alimentation
en eau et en électricité, anciennement assurée par
l’infrastructure déficiente, de la mise en œuvre des mécanismes de
substitution nécessaires pour alimenter les abonnés pendant
l’interruption du circuit normal d’alimentation.
Le cas d’un accident de sécurité civile ayant eu lieu en France
il y a une dizaine d’années avait donné lieu aux principales
dépenses suivantes :
- achat d’une tonne de matière première par jour pendant 10
jours, soit 50 000 USD,
- transports permettant l’alimentation, pendant les 10 jours
nécessaires à la remise en état de l’infrastructure, coûtant 200
000 USD.
Le coût de mécanismes de substitution s’élève donc à 250 000
USD.
Or, en termes d’échelle, la taille de
l’infrastructure pétrolière dont on évalue ici les coûts
d’accident étant quatre fois supérieure à celle du système de
substitution de référence, on propose d’appliquer ce ratio à
l’évaluation du coût total de mécanismes de substitution. Les
mécanismes de substitution coûtent 1 000 000 USD. Les mécanismes
de substitution à prévoir s’élèvent au total à 1 000 000 USD-200
000 USD (par convention, ratio d’erreur), soit 800 000 USD.
La dernière niche de coûts imputables à la gestion de
l’accident dans l’urgence est celle des impacts sur
l’environnement, évalués sur la base d’accidents passés, à 30% du
total des autres coûts, soit 30% de 847 000 USD.
Les dommages à l’environnement nécessitent de dépenser 254 000
USD en gestion « ex-post ».
Le coût de la gestion des conséquences de l’accident est donc
de 1 100 000 USD.
2. Coût de mise en place d’un mode de prévention pertinent.
Le système existant coûte 1 000 000 USD d’achat de matériel,
auxquels s’ajoutent 10% de frais d’entretien tous les 3 ans, soit
400 000 USD au total pour une période de 12 ans.
Un système de substitution possible au transport de pétrole
liquide, soumis à différentes vulnérabilités, est de transporter
du matériau sous une autre forme que l’état liquide.
Le nombre de transports nécessaires pour remplacer l’activité
de l’oléoduc est évalué à 10 par mois, chacun ayant un coût
unitaire de 100 000 USD.
La mise en place de ce mode original de prévention d’accident
d’oléoduc pour une période de 12 ans est de 144 000 000 USD.
Le coût approximatif de mise en place d’un système de
prévention efficient est de 145 100 000 USD.
3.Comparaison.
Il est donc 36 fois moins cher d’employer
l’existant et d’attendre qu’un accident survienne, plutôt que de
mettre en place un nouveau système de transport -plus sûr- de
pétrole.
4.Extrapolation à un accident nucléaire.
Les infrastructures nucléaires supportent des
coûts bien supérieurs –de l’ordre de 20 fois plus- à ceux de
systèmes de production d’énergies fossiles.
Le coût de la gestion d’un accident est alors d’environ
20*1 100 000 = 22 000 000 USD
De même, le coût de la mise en place de modes de prévention est
d’environ
20*144 000 000 = 2 880 000 000 USD
5. Conclusion.
La mise en place d’un mode industriel plus sûr
est donc aussi plus chère. Cependant, cet investissement, lissé
sur les dizaines d’années d’amortissement de l’infrastructure,
permet à la fois d’alléger le coût d’investissement de modes de
prévention pertinents et d’assurer une sécurité pour nos citoyens
–et de retrouver ainsi, et au-delà de mécanismes législatifs
parfois irréalistes- leur confiance.
L’enjeu pour l’industrie ne saurait être plus
clair : investir dans la prévention, c’est s’assurer un avenir,
car c’est offrir aux victimes le droit d’imputer la survenue d’un
accident à d’autres causes que la seule négligence. Pérennité
assurée.
* Catherine Bodeau-Péan Ostermann
Travaux sur le risque référencés aux Presses Universitaires de
France (revue "Philosophie et Politique")
Site Web:
http://membres.lycos.fr/bodeau/
Elle est également l’auteur de plusieurs articles sur CCC.
Catherine.bodeau-pean@wanadoo.fr
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