www.communication-sensible.com  - Copie réservée à un usage privé.

Imprimer l'article

Ressorts de l’attachement à la culture d’entreprise dans le secteur nucléaire.
Par Catherine Ostermann, Juillet 2003 (*)
Catherine.bodeau-pean@wanadoo.fr

Notre propre unité est à bien des égards illusoire. En quoi ce que ce constat de bon sens peut-il nous aider à comprendre la culture forte et auto-renforçante du nucléaire (dans lequel on s’attache à ses collègues comme à des Amis, on a un vocabulaire partagé par une courte minorité,…) ?

Nos civilisations traversent très visiblement un contexte selon lequel elles placent les individus dans une sorte de « psychologisation à outrance ».

On considère que la réussite ne dépend que de la volonté de l’individu de surmonter les obstacles.

Or, cela menace l’image que l’individu a de lui-même, dont on a dit combien l’unité était illusoire (cela menace donc un édifice déjà fragilisé…)

Chaque individu vise à être nourri, protégé par une Instance transcendante qui le mène le plus directement possible vers une identité stable, laquelle présente l’avantage de le protéger de la folie.

Idéaliser le social, une issue possible ?

Idéaliser le Social, c’est croire être sauvé par un objet collectif, merveilleux et lointain : l’entreprise, sa culture, les collègues, le secteur d’activité,… : tout cela compose ce mythe collectif auquel l’individu s’attache comme à la seule issue possible pour se confondre avec le Tout, pour rejoindre une unité originelle perdue.

L’identification au nucléaire s’inscrit dans cette identification, d’autant plus qu’on parle ici de production d’énergie, dont l’ingestion, par nature –ne serait-ce que cela- gonfle les capacités de l’individu. Elle donne accès à chacun des agents qui y travaille à la « toute puissance » proportionnelle à la quantité d’énergie dégagée par le nucléaire, c'est-à-dire, qu’on ne peut pas délimiter avec précision. L’exaltation provoquée chez certains par les travaux sur la fusion en est un signe visible.

Bien des révolutionnaires n’ont pas dissocié leurs élans amoureux de leur volonté d’édification d’un monde nouveau : ici aussi, on donne sans compter, espérant recevoir plus encore de cette source qui a tous les attributs du tonneau des Danaïdes.

De plus, pour eux, maintenir le Secret autour de mesures d’énergie réellement dégagées, c’est affermir toujours davantage leur position de mage savant (voir pour s’en convaincre l’impact effectif en France de la communication très tardive des rejets de Tchernobyl).

Vers le retour à une Unité primale ?

La force de cette appropriation de son secteur d’activité par l’individu lui permet alors d’espérer retrouver la cohérence. Or, retrouver la cohérence grâce à des identités collectives fortes, c’est se replier sur le groupe d’appartenance, refuser que nous sommes le produit d’identifications multiples, que nous sommes, et nos référents aussi, changeants.

Il est intéressant de comprendre la légende qui sous-tend la pression que l’entreprise fait peser de toute sa masse sur la société.

En matière nucléaire, il est difficile de faire oublier les débuts prometteurs de l’utilisation de cette source dans le domaine militaire -même si les gestes professionnels ont changé, même si l’ouverture des exploitants et producteurs est bien réelle- la légende est bien plus réelle encore : facile alors aux opposants de tout poil de s’en emparer et difficile en interne de résister à ce rappel régulier et fréquent de l’incommensurable inertie que la légende a instaurée dans les entreprises concernées, que constituent les politiques industrielles engagées.

Comment appréhender une entreprise comme IBM sans connaître ses débuts, son ambiance puritaine et la personnalité de son fondateur, Watson ? Comment comprendre les conflits qui éclatent à EDF sans connaître l’histoire de la nationalisation des entreprises privées et la manière dont a été vécue cette histoire ?

Voilà donc que la Légende de l’entreprise se construit, dirais-je, inexorablement et parfois à l’encontre même de l’évolution de l’entreprise.

(*) Catherine Bodeau-Péan Ostermann

Travaux sur le risque référencés aux Presses Universitaires de France (revue "Philosophie et Politique")

Site Web: http://membres.lycos.fr/bodeau/

Elle est également l’auteur d’un article particulièrement lu sur le Magazine de la Communication de Crise et Sensible :

« La gestion de crises, un ensemble de problématiques ancestrales revues sous le spectre de nouvelles exigences. » http://www.communication-sensible.com/articles/article0022.php