Le côté préventif ou curatif de la communication de crise a été
largement développé par de nombreux auteurs. Des outils et
méthodes sont prônés pour chaque moment ex-ante ou ex-post à la
crise. Nous nous intéressons ici aux mécanismes même de la crise :
Comment l’information de crise se propage-t-elle ? Quels en sont
les paramètres les plus influents ? Comment tous ces paramètres
sont-ils liés entre eux ? Peut-on prévoir le déroulement d’une
crise ? Les progrès en matière d’approche de simulation dynamique
de systèmes complexes et de simulation numérique trouvent ici un
terrain idéal d’application.
Une analogie avec les modèles marketing de diffusion d’une
innovation sur le marché
Il s’agit donc d’étudier au plus profond même
la communication de crise et sa diffusion, son développement. Pour
cela, imaginons une situation de crise pour une entreprise : une
information est révélée par un média. Elle se propage parmi les
autres médias. La crise débute. Notre approche est réalisée par
analogie avec les modélisations développées dans les théories
marketing de diffusion d’une innovation sur le marché : à partir
d’un nombre de clients potentiels, le nombre de personnes cumulées
qui vont au cours du temps acquérir l’innovation prend la forme
d’une courbe en S. Puis se profilera un palier final d’adoption,
qui représente tout simplement la limite d’adoption de
l’innovation par la marché. L’effet réseau et la vitesse
d’adoption permettent de déterminer le forme de la pente de la
courbe en S.Si l’on raisonne maintenant en terme de flux de
personnes qui vont acquérir l’innovation, la courbe prend l’allure
d’une courbe en cloche avec un pic. Lorsqu’on rapproche cela à
l’analyse des phases de la communication de crise (Voir notamment
T. Libaert "La Communication de crise" - Dunod 2001 et les 4
phases d’intensité médiatique : préliminaire – aigue – chronique –
cicatrisation), l’hypothèse d’analogie partielle avec la diffusion
de l’information de crise semble donc raisonnable.
Modélisation et analyse causale
La démarche est de type systémique cherchant à
établir dans un problème aussi compliqué toutes les boucles
d’interaction et les liens de cause à effet.
Nous avons dans notre modèle distingué deux
catégories de médias : Les médias « chauds » (MC) qui ont un délai
de publication de l’ordre de la journée et qui sont à destination
du grand public. Ces médias sont réactifs et collent leur ligne
éditoriale de façon quasi-instantanée à l’actualité. Parmi les
médias chauds, les quotidiens sont les plus lents à prendre en
compte de nouvelles informations. Les médias " froids" (MF) quant
à eux vont traiter les informations sur un rythme plus lent, avec
des parutions hebdomadaires voire mensuelles. Une hypothèse
réaliste est que les MC, au cœur de l’actualité, influent ensuite
les MF, et non l’inverse. Sauf évidemment si un MF lui-même ajoute
un nouvel élément émotionnel fort. Mais dans ce cas de figure
c’est une nouvelle crise qui débute
Nous avons intégré deux variables qui nous
semblent importantes : l’émotion de l’information et la charge de
l’actualité. L’émotion de " l’information de crise" diffusée
(cette information de crise pouvant être une rumeur) est traitée
comme une variable accumulative avec au cours du temps des flux
entrants (nouveaux éléments augmentant l’émotion de l’information,
désinformation au cours du temps, irrationalité accrue, etc) et
sortants (action de transparence de l’entreprise tentant de
rationaliser, etc). La charge de l’actualité est modélisée de
manière exogène à l’aide d’une courbe en fonction du temps
permettant de simuler des creux ou des pics d’actualité. Le
diagramme d’influence des différents liens de cause à effet est
ainsi établi :
Pour le reste, notre modèle intègre des aspects
classiques de la diffusion à savoir l’influence au cours du temps
de la fraction de médias ayant déjà adoptés l’information
(Fraction d’Adoption MC ou MF), les phénomènes d’Effet Réseau qui
décrivent la vitesse de propagation au sein de la population liés
à la Fraction d’Adoption et à l’Emotion de l’information, le
calcul de limite d’adoption de l’information fonction notamment de
la charge actualité et de l’émotion. Le délai d’adoption de
l’information est fixe pour les MF (délai de parution) mais
variable pour les MC. Pendant une crise, le phénomène de réduction
du délai de diffusion de l’information s’explique par la "recopie"
accélérée des MC entre eux.
Des résultats prédictifs
Intégrant les lois comportementales rapidement
décrites précédemment, cette modélisation prend la forme d’une
simulation numérique avec boucles de rétroaction non linéaires
d’emballement ou de convergence et avec des liens multiples de
cause à effet. Appliqué à des communications de crise connues par
le passé par Renault, le modèle a permis d’être prédictif de
manière qualitative, et avec une précision acceptable de manière
quantitative quant à l’intensité médiatique ou même
l’accroissement de l’émotion dans le temps. Cela valide ainsi les
hypothèses que nous avions posées quant à la nature de la
communication de crise.
Prenons par exemple une communication de crise
autour d’une information à émotion élevée (rappel sécuritaire d’un
produit défectueux). L’ensemble des médias chauds potentiels ont
basculé en peu de temps pour reprendre l’information : une courbe
d’adoption en S à la pente très importante :
Le pic de crise (intensité médiatique) est
intervenu en moins de 48 h. L’entreprise n’ayant pu apporter de
réponse, l’émotion de l’information a augmenté au cours du temps
(phénomène d’irrationalité grandissant), ce qui rétroactivement a
contribué à augmenter l’effet de propagation et d’emballement.
L’émotion est notée sur une échelle de 0 à 1.
En dehors de cet exemple, le modèle a plus
globalement montré sa compétence qualitative à expliquer les
mécanismes de la communication de crise, son déclenchement ou non,
sa durée, ses pics de charge, etc. Il se montre finalement
également quantitatif sur un certain nombre de variables.
Surtout, cette approche par la dynamique des
systèmes complexes peut permettre d’analyser l’impact de
l’environnement sur la communication de crise et élaborer des
scénarii. Il le fera d’autant plus qu’il est alors possible de
déterminer ce qui se passerait si les différents paramètres /
variables d’environnement étaient modifiés : que se passerait-il
si après un pic de crise si un creux d’actualité survenait, que se
passerai-t-il si l’émotion diminuait par une meilleure
transparence, etc.
(c) Hervé
RENAUDIN - 2003
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