Que ce soit le champ politique, économique
ou social, le conformisme règne en maître. Face à la complexité,
nous continuons à définir des systèmes fermés en interactions
simples et à les ériger en modèle. Comment en vouloir alors à ceux
qui nous proposent des recettes en matière de communication de
crise ?
Cette incroyable capacité ancrée dans notre
société à établir des modèles théoriques ou réels (qui structurent
notre cadre de vie) afin d’échapper à la réalité de la complexité
mène aux pires excès. Du point de vue structurel, ces excès
peuvent conduire à des situations insolites et dangereuses, à
l’exemple de la non représentativité de la classe politique en
France, avec un président de la république virtuellement élu par
82% des français alors qu’il a recueilli moins de 10% des votes
potentiels (à différencier des suffrages exprimés) au premier tour
de la présidentielle de 2002 : si ce pouvoir est légitime du point
de vue institutionnel (statu quo), sa non représentativité est un
facteur de risque majeur (réalité). Ceci n’est qu’un exemple, mais
important, des dissensions qui existent entre les modèles que nous
utilisons pour gérer et l’infinie complexité des relations
sociales.
Le cas de l’opinion publique
Mais le politique n’est pas le seul blâmable.
En situation de crise, imaginer l’opinion publique comme un
ensemble homogène et interprétable conduit également aux pires
erreurs. Dans la communication de crise destinée au public citoyen
ou consommateur, les interactions sont généralement définies
autour de trois pôles : l’entité en crise, les médias, le public.
Les recettes actuellement en vogues pour communiquer en situation
de crise, « la définition du message », le « média training », «
la communication média / hors média » font cependant abstraction
de celui qui reçoit le message : on prête attention à l’émission
sans pour autant se soucier du récepteur que l’on continue, par
facilité, d’appeler « opinion publique ». Ainsi, il est d’usage
(statu quo) de penser que les propos tenus par/dans tel ou tel
média définissent l’opinion : c’est vrai pour le média, ce n’est
pas vrai pour le public qui reçoit le message (réalité). En fait,
nous sommes fortement désarmés car les consultants en
communication restent focalisés sur le média (par exemple, les
propos tenus par les journalistes) et font abstraction de
l’incroyable diversité du corps social et de sa réelle complexité.
Pour connaître les résultats d’une campagne médiatique, l’habitude
est de mesurer son impact sur l’opinion. Mais par nature, les
modèles qui régissent la mesure de l’opinion sont faux, à l’image
de l’atome que l’on représente par des électrons qui gravitent
autour d’un noyau. Il y a plusieurs raisons à cela :
- Les limites du modèle ne sont pas définies autrement que par
les limites de la mesure (dont la marge d’erreur est une
caractéristique perceptible qui donne un crédit scientifique au
modèle et évite de le remettre en question),
- La structure de la mesure (les questions posées, le lieu, la
date,..) structure les résultats de la mesure et les influence,
- L’entropie générale du système qui est un déterminant
généralement oublié,
- L’observateur (le consultant) dont les contingences
délimitent les conclusions puisqu’il appartient au système,
- Les conditions de la mesure qui dépendent de facteurs
sociologiques avec des individus placés dans un contexte culturel,
social, juridique qui diffère selon le lieu et l’instant.
Cette liste n’est pas exhaustive, et ne peut
l’être pour la seule raison que de tenter de le croire en ferait
un modèle. Notre société est centrée sur l’individu : c’est lui et
lui seul qui se détermine par rapport à une crise selon sa
conception du monde à un instant T ce qui rend en partie
inopérante les conclusions généralistes des analyses statistiques.
L’erreur commune est de considérer la mesure
comme essentielle, comme déterminante, simplement par ce qu’elle
est simple à comprendre, qu’elle semble auréolée d’une approche
scientifique. Or la complexité des individus et des rapports
sociaux ne peut se satisfaire d’explications simples et de
conclusions définitives ou aisées. La somme des individus ne forme
pas un tout interprétable et compréhensible pas plus que la
segmentation qui constitue également une somme. Le calcul et les
formules tout comme les formulations n’existent que pour nous
satisfaire du statu quo que nous entretenons dans notre
incompréhension de la société, ce qui est rassurant, surtout en
situation de crise.
Pour finir
Ceux que nous appelons visionnaires sont
principalement des personnes qui auront tenté en vain de briser
les chaînes du statu quo, ceci à raison. Si le statu quo est
tyrannique, c’est parce que nous préférons la sécurité de
l’habitude que l’incertitude générée par des modifications en
profondeur des structures sociétales et même de nos connaissances
souvent érigées en croyances : dans les première heure, Einstein
doutait de la validité de la théorie de la relativité, tant elle
changeait le statu quo des modèles physiques de l’univers.
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