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Vrais mensonges et fausses vérités.

Didier Heiderich, Mars 2003

"Il n'y a qu'un seul monde et il est faux, cruel, contradictoire, séduisant et dépourvu de sens. Un monde ainsi constitué est le monde réel. Nous avons besoin de mensonges pour conquérir cette réalité, cette "vérité". " Nietzsche

"Toutes les images sont des mensonges, l'absence d'image est aussi mensonge." Attribué à Bouddha.

En communication de crise tout comme en communication politique une des lignes de conduite qui semble efficace à court terme est d’expliquer la vérité par le mensonge et les faits par l’absence de fait. Dans notre monde d’images, d’immédiateté, le mensonge est souvent plus efficace que la vérité : il a pour avantage sur la vérité de pouvoir être entier, explicite et contextuel. Réflexions sur le vrai et le faux dans la manipulation du sens commun en situation de crise.

La part du vrai, mensonge du café du commerce

D’une banalité affligeante, faire d’un cas une généralité est le mensonge le plus communément utilisé, le plus facile à formuler à échafauder. Le mettre en scène est en revanche plus difficile tant l’astuce est reconnaissable. Si vous voulez bâtir votre mensonge sur une part de vérité, commencez par prendre à témoin votre interlocuteur direct qui ne pourra pas contester cette vérité puis tirez en une généralité sur laquelle vous pourrez démontrer le bien fondé de votre action, de vos actes. Mentir est un art, nous connaissons quelques maîtres en la matière. Naturellement cette forme de mensonge a ses revers : il agace et finit par décrédibiliser tous ceux qui le commettent. A bannir dans votre communication de crise.

L’exploitation du faux mensonge

Récemment exploité à grande échelle, le faux mensonge est en passe de devenir un paradigme de la communication institutionnelle et politique. Il consiste à tester l’opinion en mentant sur ses intentions puis à faire marche arrière tout en avançant d’un pas par rapport à la situation réelle. Cette exploitation du mensonge demande d’être deux : celui qui explique un projet contestable et celui qui en fera le démenti. Cette exploitation du faux mensonge permet de rendre totalement opaque ses véritables desseins, de faire plaisir aux extrêmes et de rassurer les autres, de fusionner plusieurs plans de la communication, de maintenir la confusion. Elle permet également de bannir tout projet de négociation car chacun pourra puiser dans le mensonge la part de vérité qui le satisfait. Fort mais dangereux à terme, l’exploitation du faux mensonge est plus un vecteur de crise qu’un régulateur d’opinion.

L’inavouable incompétence

Le monde dans lequel nous vivons est complexe. Les situations de crise, par nature insolites, sont propices à l’incompétence. Or, que ce soit les institutions ou leurs animateurs, avouer cette incapacité à maîtriser une situation n’est pas imaginable. Une réponse à la crise est cependant attendue de tous. Encore une fois, ceux qui devront gérer cette situation seront amenés à supposer, à promettre, à avancer des arguments partiellement fondés plutôt que d’avouer leur incompétence, même momentanée. Pour combattre cette position il est nécessaire de temporiser afin de s’informer : personne n’est obligé de répondre instantanément à toutes les questions qui lui sont posées.

Les vérités premières

Les vérités premières sont les postulats du mensonge. Elles permettent d’ériger en religion une proposition et de bâtir des cathédrales idéologiques. C’est le mensonge d’état, le mensonge religieux mais également celui du café du commerce. C’est celui qui permet d’ordonner, de contraindre, d’assassiner. Les vérités premières sont odieuses, à n’utiliser en aucun cas dans votre communication de crise, sauf si vous représentez Dieu ou l’Etat…

Le mensonge de l’argument d’autorité

Tous les astrologues contestent l’argumentation scientifique lorsqu’elle réfute leurs thèses. Cependant, à chaque fois que les astrologues peuvent mettre en exergue une personnalité scientifique, celle-ci est utilisée comme preuve irréfutable de la véracité de leurs propos. L’argument d’autorité est fréquemment utilisé pour mettre fin à toute idée de débat : ce qu’une autorité ou mieux une sommité a analysé, vous ne pouvez le contester. Ce fut le cas lors de la catastrophe de Tchernobyl. Je me souviens qu’une technicienne d’un laboratoire de recherche expliquait qu’elle avait constaté une augmentation de la radioactivité. Il lui fut répondu sèchement par un ministre de l’époque qu’elle n’avait (au vu de sa « petite condition ») aucune autorité pour prétendre que le nuage avait franchi le Rhin. Nous savons ce qu’il en est aujourd’hui. Il conviendra de ne pas en abuser : l’argument d’autorité en situation de crise fonctionne qu’à condition d’être dans le sens du vent. Alchimie du vrai/faux, s’il est attendu par l’opinion, le mensonge d’autorité se transfigurera en vérité : il deviendra parfait, à l’image du crime.

Le faux pour démontrer le vrai.

Douglas Hofstadter dans son ouvrage « Gödel Escher Bach, les brins d’une guirlande éternelle» (1), le GEB pour les intimes, décrit les systèmes formels avec une intelligence rare. La lecture de ce livre, pourtant passionnant, est ardue. Pourquoi ? Parce que l’auteur nous conduit en permanence à faire le distinguo entre ce qui appartient au système et ce qui en est exclu, entre l’observateur et le système, entre le message et son support, à distinguer le vrai du faux, le sens et le non sens. La surprise en plus de l’émotion que suscite la lecture de cet ouvrage est immense : notre mode de pensée nous trahit. Ainsi, ce livre trouble le sens commun. Pardon : pour ne pas s’égarer, il est nécessaire de préciser que la lecture de ce livre trouble le sens commun. Nuance. En filigrane Douglas Hofstadter explique (entre autres) que faire la démonstration de la vérité (un fait) par une contrevérité (un non fait) est une erreur fondamentale de logique (2) difficilement percevable. C’est ici que se situe la trahison oratoire à laquelle nous sommes soumis régulièrement. Trahison parce que cette subtile erreur de logique est souvent imperceptible au premier regard, sauf pour ceux qui la commettent volontairement avec l’objectif de manipuler. Trahison parce qu’en situation de crise, la pression médiatique pousse ceux qui sont soumis au stress « de la réponse à tout prix et tout de suite » à tomber dans le panneau de la non vérité qui sera exploitée ensuite en trompe l’œil Escherien. « Si ceci est faux (n’existe pas) alors cela est vrai (existe)» en jouant de l’émotion permet de démontrer tout et son contraire, de mystifier le mensonge, de le poser en postulat de la vérité. La Fontaine l’avait exprimé depuis longtemps en d’autre temps « Si ce n’est toi, c’est donc ton frère ». Ne tombez pas dans ce piège, quel que soit le côté de la barrière où vous vous trouvez pour vous laisser une chance de discerner la part du vrai et du faux et de ne pas vous égarer dans votre communication de crise.

Le serment

Le serment est à la vérité ce que l’autoritarisme est à l’état. En soi il ne possède qu’une signification morale, dans la pratique, les personnes assermentées font force de loi : l’égalité entre les citoyens face au serment n’existe pas. Pourtant, la vérité est toujours complexe. Le juge fait loi et le serment fait foi. Nier la complicité de la vérité, des apparences et des croyances qui forgent une conviction peut conduire aux pires excès. Dans l’appréciation (le jugement) d’une situation de crise, il est nécessaire de distinguer ce qui est de l’ordre de la conviction et de la vérité pour éviter de faire d’énormes boulettes.

La vérité vraie

Ce vocable souvent répété est intéressant. Il tend à prouver à lui seul que toutes les vérités ne sont pas vraies. Il existe quelques vérités exploitables, d’autres plus difficiles à avouer et enfin des vérités inaccessibles dont on peut supposer qu’elles forment la plus grande partie de l’ensemble des vérités. La vérité vraie n’est pas toujours bonne à dire, souvent plus complexe que le mensonge, rarement manichéenne c’est pourquoi elle est rarement exploitée.

Les défendeurs de la vérité sont souvent taxés de technocrates, de dangereux utopistes ou pire d’incompétents. « Tout ce qui est simple est faux, tout ce qui n'est pas simple est inutilisable » écrivait Paul Valéry. En situation de crise, il est nécessaire de ne pas confondre transparence (3) et vérité au risque de ne pas se faire comprendre.

Conclusion facile

Mentir est un acte, la vérité est un état. Le jeu de la vérité appartient en partie à la logique et le mensonge en bouscule les règles. Fondement de l’ordre communautaire et facteur de progrès social, la vérité mériterait que l’on s’y attarde un peu plus dans les écoles et les institutions, non pas pour des questions morales, mais comme un élément nécessaire d’apprentissage de la démocratie. La vérité possède sa part de mensonge et inversement. Prenons par exemple le titre de cette conclusion : s’il tient ses promesses je vous aurais dis la vérité dans le cas contraire je vous aurais menti. A vous d’en décider.

(1) "Gödel, Escher, Bach", Douglas Hofstadter, InterEditions, Paris, 1985

Un commentaire sur le GEB :
http://www.arte-tv.com/hebdo/archimed/19990413/ftext/sujet9.html 

(2) Page 75 du GEB, Douglas Hofstadter propose une règle : « Si Cx n’est pas un théorème, alors Px est un théorème », sauf si Cx = Non-Px est posé en axiome (2). Cette règle viole le système formel explique Douglas Hofstadter : pour la vérifier, il est nécessaire de se situer hors du système qui du coup perd son sens

(3) A lire à ce sujet :
"La transparence en trompe-l'oeil", Thierry Libaert, Editions Descartes & Cie, 2003
Thierry Libaert démontre ici les logiques froides mises en oeuvre et les dérives que l'utopie de la transparence pourrait entraîner. Il articule sa réflexion autour de questions essentielles : la transparence accroît-elle nos libertés ? Nous rend t-elle plus égaux, plus fraternels ? Faut-il élaborer une déontologie de l'information et de la communication ?

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