"Il n'y a qu'un seul monde et il est faux,
cruel, contradictoire, séduisant et dépourvu de sens. Un monde
ainsi constitué est le monde réel. Nous avons besoin de mensonges
pour conquérir cette réalité, cette "vérité". " Nietzsche
"Toutes les images sont des mensonges,
l'absence d'image est aussi mensonge." Attribué à Bouddha.
En communication de crise tout comme en
communication politique une des lignes de conduite qui semble
efficace à court terme est d’expliquer la vérité par le mensonge
et les faits par l’absence de fait. Dans notre monde d’images,
d’immédiateté, le mensonge est souvent plus efficace que la vérité
: il a pour avantage sur la vérité de pouvoir être entier,
explicite et contextuel. Réflexions sur le vrai et le faux dans la
manipulation du sens commun en situation de crise.
La part du vrai, mensonge du café du
commerce
D’une banalité affligeante, faire d’un cas une
généralité est le mensonge le plus communément utilisé, le plus
facile à formuler à échafauder. Le mettre en scène est en revanche
plus difficile tant l’astuce est reconnaissable. Si vous voulez
bâtir votre mensonge sur une part de vérité, commencez par prendre
à témoin votre interlocuteur direct qui ne pourra pas contester
cette vérité puis tirez en une généralité sur laquelle vous
pourrez démontrer le bien fondé de votre action, de vos actes.
Mentir ou dissimuler la vérité est un art, nous connaissons quelques maîtres en la
matière. Naturellement cette forme de mensonge a ses revers : il
agace et finit par décrédibiliser tous ceux qui le commettent. A
bannir dans votre communication de crise.
L’exploitation du faux mensonge
Récemment exploité à grande échelle, le faux
mensonge est en passe de devenir un paradigme de la communication
institutionnelle et politique. Il consiste à tester l’opinion en
mentant sur ses intentions puis à faire marche arrière tout en
avançant d’un pas par rapport à la situation réelle. Cette
exploitation du mensonge demande d’être deux : celui qui explique
un projet contestable et celui qui en fera le démenti. Cette
exploitation du faux mensonge permet de rendre totalement opaque
ses véritables desseins, de faire plaisir aux extrêmes et de
rassurer les autres, de fusionner plusieurs plans de la
communication, de maintenir la confusion. Elle permet également de
bannir tout projet de négociation car chacun pourra puiser dans le
mensonge la part de vérité qui le satisfait. Fort mais dangereux à
terme, l’exploitation du faux mensonge est plus un vecteur de
crise qu’un régulateur d’opinion.
L’inavouable incompétence
Le monde dans lequel nous vivons est complexe.
Les situations de crise, par nature insolites, sont propices à
l’incompétence. Or, que ce soit les institutions ou leurs
animateurs, avouer cette incapacité à maîtriser une situation
n’est pas imaginable. Une réponse à la crise est cependant
attendue de tous. Encore une fois, ceux qui devront gérer cette
situation seront amenés à supposer, à promettre, à avancer des
arguments partiellement fondés plutôt que d’avouer leur
incompétence, même momentanée. Pour combattre cette position il
est nécessaire de temporiser afin de s’informer : personne n’est
obligé de répondre instantanément à toutes les questions qui lui
sont posées.
Les vérités premières
On dit que la vérité est ce que la majorité gens
croient. Dans cette catégorie, les vérités premières sont les postulats du
mensonge. Elles permettent d’ériger en religion une proposition et
de bâtir des cathédrales idéologiques. C’est le mensonge d’état,
le mensonge religieux mais également celui du café du commerce.
C’est celui qui permet d’ordonner, de contraindre, d’assassiner.
Les vérités premières sont odieuses, à n’utiliser en aucun cas
dans votre communication de crise, sauf si vous représentez Dieu
ou l’Etat…
Le mensonge de l’argument d’autorité
Tous les astrologues contestent l’argumentation
scientifique lorsqu’elle réfute leurs thèses. Cependant, à chaque
fois que les astrologues peuvent mettre en exergue une
personnalité scientifique, celle-ci est utilisée comme preuve
irréfutable de la véracité de leurs propos. L’argument d’autorité
est fréquemment utilisé pour mettre fin à toute idée de débat : ce
qu’une autorité ou mieux une sommité a analysé, vous ne pouvez le
contester. Ce fut le cas lors de la catastrophe de Tchernobyl. Je
me souviens qu’une technicienne d’un laboratoire de recherche
expliquait qu’elle avait constaté une augmentation de la
radioactivité. Il lui fut répondu sèchement par un ministre de
l’époque qu’elle n’avait (au vu de sa « petite condition ») aucune
autorité pour prétendre que le nuage avait franchi le Rhin. Nous
savons ce qu’il en est aujourd’hui. Il conviendra de ne pas en
abuser : l’argument d’autorité en situation de crise fonctionne
qu’à condition d’être dans le sens du vent. Alchimie du vrai/faux,
s’il est attendu par l’opinion, le mensonge d’autorité se
transfigurera en vérité : il deviendra parfait, à l’image du
crime.
Le faux pour démontrer le vrai.
Douglas Hofstadter dans son ouvrage « Gödel
Escher Bach, les brins d’une guirlande éternelle» (1), le GEB pour
les intimes, décrit les systèmes formels avec une intelligence
rare. La lecture de ce livre, pourtant passionnant, est ardue.
Pourquoi ? Parce que l’auteur nous conduit en permanence à faire
le distinguo entre ce qui appartient au système et ce qui en est
exclu, entre l’observateur et le système, entre le message et son
support, à distinguer le vrai du faux, le sens et le non sens. La
surprise en plus de l’émotion que suscite la lecture de cet
ouvrage est immense : notre mode de pensée nous trahit. Ainsi, ce
livre trouble le sens commun. Pardon : pour ne pas s’égarer, il
est nécessaire de préciser que la lecture de ce livre trouble le
sens commun. Nuance. En filigrane Douglas Hofstadter explique
(entre autres) que faire la démonstration de la vérité (un fait)
par une contrevérité (un non fait) est une erreur fondamentale de
logique (2) difficilement percevable. C’est ici que se situe la
trahison oratoire à laquelle nous sommes soumis régulièrement.
Trahison parce que cette subtile erreur de logique est souvent
imperceptible au premier regard, sauf pour ceux qui la commettent
volontairement avec l’objectif de manipuler. Trahison parce qu’en
situation de crise, la pression médiatique pousse ceux qui sont
soumis au stress « de la réponse à tout prix et tout de suite » à
tomber dans le panneau de la non vérité qui sera exploitée ensuite
en trompe l’œil Escherien. « Si ceci est faux (n’existe pas) alors
cela est vrai (existe)» en jouant de l’émotion permet de démontrer
tout et son contraire, de mystifier le mensonge, de le poser en
postulat de la vérité. La Fontaine l’avait exprimé depuis
longtemps en d’autre temps « Si ce n’est toi, c’est donc ton frère
». Ne tombez pas dans ce piège, quel que soit le côté de la
barrière où vous vous trouvez pour vous laisser une chance de
discerner la part du vrai et du faux et de ne pas vous égarer dans
votre communication de crise.
Le serment
Le serment est à la vérité ce que
l’autoritarisme est à l’état. En soi il ne possède qu’une
signification morale, dans la pratique, les personnes assermentées
font force de loi : l’égalité entre les citoyens face au serment
n’existe pas. Pourtant, la vérité est toujours complexe. Le juge
fait loi et le serment fait foi. Nier la complexité de la vérité,
des apparences et des croyances qui forgent une conviction peut
conduire aux pires excès. Dans l’appréciation (le jugement) d’une
situation de crise, il est nécessaire de distinguer ce qui est de
l’ordre de la conviction et de la vérité pour éviter de faire
d’énormes boulettes.
La vérité vraie
Ce vocable souvent répété est intéressant. Il
tend à prouver à lui seul que toutes les vérités ne sont pas
vraies. Il existe quelques vérités exploitables, d’autres plus
difficiles à avouer et enfin des vérités inaccessibles dont on
peut supposer qu’elles forment la plus grande partie de l’ensemble
des vérités. La vérité vraie n’est pas toujours bonne à dire,
souvent plus complexe que le mensonge, rarement manichéenne c’est
pourquoi elle est rarement exploitée.
Les défendeurs de la vérité sont souvent taxés
de technocrates, de dangereux utopistes ou pire d’incompétents. «
Tout ce qui est simple est faux, tout ce qui n'est pas simple est
inutilisable » écrivait Paul Valéry. En situation de crise, il est
nécessaire de ne pas confondre transparence (3) et vérité au risque de
ne pas se faire comprendre.
Conclusion facile
Mentir est un acte, la vérité est un état. Le
jeu de la vérité appartient en partie à la logique et le mensonge
en bouscule les règles. Fondement de l’ordre communautaire et
facteur de progrès social, la vérité mériterait que l’on s’y
attarde un peu plus dans les écoles et les institutions, non pas
pour des questions morales, mais comme un élément nécessaire
d’apprentissage de la démocratie. La vérité possède sa part de
mensonge et inversement. Prenons par exemple le titre de cette
conclusion : s’il tient ses promesses je vous aurais dis la vérité
dans le cas contraire je vous aurais menti. A vous d’en décider.
(1) "Gödel, Escher, Bach", Douglas
Hofstadter, InterEditions, Paris, 1985
Un commentaire sur le GEB :
http://www.arte-tv.com/hebdo/archimed/19990413/ftext/sujet9.html
(2) Page 75 du GEB, Douglas
Hofstadter propose une règle : « Si Cx n’est pas un théorème,
alors Px est un théorème », sauf si Cx = Non-Px est posé en axiome
(2). Cette règle viole le système formel explique Douglas
Hofstadter : pour la vérifier, il est nécessaire de se situer hors
du système qui du coup perd son sens
(3) A lire à ce sujet :
"La transparence en trompe-l'œil" (La transparence
opaque), Thierry Libaert, Editions Descartes & Cie, 2003
Thierry Libaert démontre ici les logiques froides mises en
oeuvre et les dérives que l'utopie de la transparence pourrait
entraîner. Il articule sa réflexion autour de questions
essentielles : la transparence accroît-elle nos libertés ? Nous
rend t-elle plus égaux, plus fraternels ? Faut-il élaborer une
déontologie de l'information et de la communication ?
Commander (Prix indicatif : 14 EUR)
(c) 2003 - Tous
droits réservés |