Ces insaisissables communautés
Enfin,
les phénomènes communautaires récents font une entrée remarquée sur
le terrain de la communication, mais encore une fois avec un train de
retard sur les études sociologiques.
La
ménagère de moins de 50 ans est morte, vive les communautés ! Le
tout communautaire fait son arrivée en force dans les esprits : pour
communiquer, il est nécessaire de les repérer, de s’en imprégner, de
les investir, surtout en période sensible. Je fais partie de ceux qui le
crie haut et fort depuis longtemps, mais si cette représentation
topographique des communautés n’était qu’un leurre ? Internet,
à bien des égards, tend à nous démontrer que des failles existent dans
ce raisonnement.
Comment fonctionne-t-on sur le web ? Quel est notre usage
communautaire du net ? Quelle est notre appartenance ? En
réalité, nous sommes souvent infidèles. Papillonnants d’un portail à
l’autre, d’un groupe de discussion à l’autre en fonction de nos
besoins, de nos envies ou de nos habitudes, libérés des contingences
physiques, nous décidons à chaque instant de nous rendre ou non dans un
lieu virtuel, de continuer de le fréquenter ou non. Ainsi, les
communautés en ligne ne seraient en réalité – pour la plupart d’entre
nous – que des lieux de passage que nous avons l’habitude de
fréquenter ? La question mérite d’être posée, d’autant plus
que la réponse semble pouvoir également expliquer des manifestations IRL
(In Real Live, dans le monde réel). Espace où le
" moi " s’exprime, Internet est le reflet de notre
société. Pour Jacques Attali (1), nous aurions " des
appartenances multiples ". Les cloisons entre cadres et
ouvriers, villageois et citadins, hétéros et homos, etc. tendent à s’effacer
au profit d’autres espaces individualisés et complexes. Enfin libres,
les individus que nous sommes recherchent à donner du sens à des vies
confrontées à un monde en perpétuel mouvance : leurs mondes.
Chacun vit le monde tel qu’il le ressent et peut l’appréhender dans l’instant
présent en fonction de ses moyens, de ses besoins, de ses valeurs et de
ses contraintes. Pour Manuel Castells (1), la société en réseau (et
donc Internet) " permet de centrer l’ensemble de la pratique
sociale sur l’individu ". Au modèle communautaire cloisonné,
il semble nécessaire aujourd’hui de juxtaposer les
" communautés individuelles " que chacun se fabrique
en fonction de son environnement à une période de sa vie.
Comment construire alors une communication de crise efficace sur un
tel modèle social ? Il faudrait pouvoir nous adresser à chaque individu
placé dans son contexte, dans sa communauté individuelle, dans sa quête
de sens, dans les murs qu’il s’impose, ce qui explique le succès du
marketing viral mais également l’insuccès des politiques. Le champ des
possibles prend aujourd’hui une ampleur considérable et quoi qu’il en
soit, nos copies sont probablement à revoir car - souvenez-vous - la
ménagère de moins de 50 ans est morte… ou pire : elle est libre.
(1)
Entretien entre Manuel Castells et Jacques Attali (Real Audio):
http://www.netgouvernance.org/debat.html
A lire
sur le sujet :
Réflexions
sur l'architecture et les enjeux politiques de l'Internet
Bernard Benhamou
http://www.netgouvernance.org/IREPP.pdf
Manuel
Castells
"La galaxie Internet " chez Fayard
Les
interactions sur internet (note critique) – Anne Revillard
Terrain et travaux n°1 (2000)
http://www.sociens.ens-cachan.fr/activites/terrains&travaux/t&t1/art5.PDF
19/04/02
Rédacteurs : Didier Heiderich / Claudine
Presset
© 2002 - Tous droits réservés
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